Testimonial

Vivre l’expérience terrain du tourisme durable… ou non!

Pérou
Publish by : Karine Tremblay

Août 2015, Machu Picchu

Au terme d’une magnifique randonnée pédestre via le Trek du Salkantay, je brûlais d’impatience de voir surgir, au lever du soleil de ma 5e journée de marche, la fameuse cité inca. À 4h20 du matin, je commençais déjà à marcher. Il faut d’abord se présenter au contrôle d’accès avant de pouvoir commencer l’ascension de la montagne jusqu’au sanctuaire, sur un sentier de pierres, une randonnée pédestre d’environ 1h. Vous avez aussi l’option de vous rendre au site en autobus. D’ailleurs, lorsque je suis arrivée à l’entrée du Machu Picchu, j’étais déjà devancée par des autobus de visiteurs. Le site est d’une beauté splendide. Toutefois, il faut vous attendre à partager l’expérience avec une multitude de visiteurs. Durant ma visite au sanctuaire, j’en ai profité pour aller voir l’Intipunku (ou la Porte du Soleil). Comme il se situe à une certaine distance de l’entrée, je m’arrêtais régulièrement en chemin pour observer les ruines archéologiques (et donner une pause à mes nombreuses ampoules aux pieds!). En apercevant un garçon d’une dizaine d’années en train de marcher sur les ruines, je me suis rappelée les consignes de mon guide, soit d’aviser les gens de ne pas marcher sur les ruines. Il a vite descendu du piédestal archéologique, mais je suis restée sceptique… Combien d’autres le font?

Développement durable en tourisme

Le développement touristique est parfois un sujet à débat tant au niveau social, culturel, économique, qu’environnemental. Évidemment, qui dit développement, dit transformation. Et c’est là que la notion de développement DURABLE prend tout son sens.

L’Organisation des Nations Unies (ONU) avait proclamé 2017 Année internationale du tourisme durable pour le développement. Je vous présente donc la définition conceptuelle du développement durable en tourisme de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) selon Téoros – revue de recherche en tourisme:

« Les principes directeurs du développement durable et les pratiques de gestion durable du tourisme sont applicables à toutes les formes de tourisme dans tous les types de destination, y compris au tourisme de masse et aux divers créneaux touristiques. Les principes de durabilité concernent les aspects environnemental, économique et socioculturel du développement du tourisme. Pour garantir sur le long terme la durabilité de ce dernier, il faut parvenir au bon équilibre entre ces trois aspects.1»

Le tourisme peut être considéré comme un moyen de lutter contre la pauvreté dans les pays en développement. Selon Francetveducation, il peut permettre un apport en capitaux étrangers, une modernisation des infrastructures et des créations d’emploi2. Toutefois, selon la même source, il tient une toute autre facette lorsqu’il sombre dans la démesure du tourisme de masse avec des impacts sociaux tels que la folklorisation de la culture traditionnelle, le tourisme sexuel, les conséquences environnementales néfastes, la saturation, etc.

Sanctuaire historique de Machu Picchu

Pour la grande majorité des touristes, voyager au Pérou inclut une visite au célèbre Sanctuaire historique de Machu Picchu, icone architectural et artistique de la civilisation inca. Avec le nombre croissant de visiteurs, l’UNESCO a sonné l’alarme auprès du gouvernement péruvien pour réglementer et restreindre l’accès au site. L’avertissement était si sérieux que l’UNESCO a passé à un cheveu d’intégrer le Machu Picchu à la liste du patrimoine mondial en péril. Il s’en est fallu de peu, mais plusieurs changements ont finalement été mis en place. Ainsi, selon le magazine Ohmymag, parmi les nouvelles mesures implantées depuis le 1er juillet 2017 se retrouvent la présence de deux plages horaire par jour, la limitation à trois chemins autorisés et l’obligation pour les touristes de contracter un guide3. De plus, selon El Colombiano, il est interdit d’accéder au site avec de la nourriture, de la boisson, des animaux, des instruments de musique, des aérosols, des poussettes, de monter ou de s’appuyer sur les murs, de faire des graffitis et des feux, de recueillir des plantes ou des animaux, de se dénuder (!), etc.4

Récemment, la chaîne d’information américaine CNN a sorti une liste de lieux touristiques à ne pas fréquenter en 2018 en raison du danger que le site puisse disparaître5. Le Machu Picchu, l’une des sept nouvelles merveilles du monde depuis 2007, fait partie de la liste. CNN explique que le sanctuaire a reçu, en 2016, 5 000 personnes par jour, soit le double du nombre recommandé par l’UNESCO. Les impacts des nouvelles restrictions mises en place pour contrôler la surpopulation sont encore à constater selon elle. Elle recommande aussi aux touristes de visiter le sanctuaire lors de la saison des pluies puisqu’il est moins achalandé. Officiellement, en 2016, ce sont 1 344 119 visiteurs qui ont foulé le célèbre site inca selon le site du Machu Picchu Travel6. Pour vous donner une idée, ce chiffre représente environ le nombre de visiteurs du Musée canadien des civilisations de Gatineau(Fracademic). En 2016, le Canada recevait un total de 20 millions de visiteurs étrangers et le Pérou 3,75 millions8. Évidemment, loin de moi l’idée de comparer l’économie touristique des deux pays. Je mentionne ces chiffres à titre indicatif seulement. Les deux pays ont des réalités bien différentes de même que des contextes économiques, historiques, anthropologiques, culturels, sociaux, politiques, naturels et environnementaux propres à chacun. Surtout, il est important d’ajouter que plus d’un touriste étranger sur deux (soit 58%) venant au Pérou pour un séjour de vacances a pour principale motivation la visite du Machu Picchu9 (PromPerú).

Il reste sûrement beaucoup de travail à réaliser pour une gestion saine et durable du Sanctuaire historique de Machu Picchu. Le site Internet de l’UNESCO liste les facteurs qui affectaient le bien en 2017 : les avalanches/glissements de terrain, les impacts des activités touristiques/loisirs des visiteurs, les inondations, et le système de gestion/plan de gestion10. Toujours selon l’UNESCO, en 2016, l’État partie11 aurait soumis deux rapports, dont un rapport d’avancement et un rapport sur l’état de conservation du bien. L’État partie mentionne la proposition d’un nouveau modèle de gestion durable du tourisme. Le suivi réalisé par le Centre du patrimoine mondial et des Organisations consultatives a pu constater que « les évolutions observées sont toujours guidées par la volonté d’accroitre le nombre de visiteurs et l’offre de services plutôt que par les nécessités liées à la conservation du bien ». Ils rappellent à l’État l’objectif principal de conservation qui inclut non seulement le respect des capacités d’accueil, mais également le « traitement des problèmes liés à l’érosion, aux perturbations de la faune et la flore et à l’accroissement des déchets solides et de la pollution générale ».

Parc national du Río Abiseo et les Chachapoyas

Bien sûr, malgré sa splendeur, il serait réducteur de croire qu’il n’y a que le Machu Picchu qui mérite une visite au Pérou. Par exemple, saviez-vous que parmi les biens inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, dans la catégorie mixte (valeurs culturelles et naturelles), se retrouvent non seulement le Macchu Picchu, mais également le Parc national Río Abiseo12? Le Parc national Río Abiseo est situé à 2h30 de route de Tarapoto. Il est situé dans la région de San Martín, au nord-est du Pérou, et comme le dit si bien l’UNESCO, sur le versant oriental des Andes tropicales. Comme il se trouve très près de mon chez-moi péruvien, j’ai eu l’occasion d’aller m’imprégner de sa grandeur une fin de semaine de novembre 2017. Il s’agit d’une expérience pleine d’adrénaline, unique et encore peu connue. Les activités sont variées : baignade dans de magnifiques chutes d’eau, visite de caves, randonnée pédestre dans la forêt vierge, soirée en légendes (ou histoires vraies selon ce que vous croyez) autour du feu, déplacements en bateaux (je ne vous dis pas le courant!), etc. Selon le site de l’UNESCO, « le Parc national de Rio Abiseo a été créé en 1983 avec, comme principaux objectifs, de protéger la forêt de brouillard exceptionnelle, le bassin versant de l’Abiseo et, de manière explicite, les valeurs culturelles du site. Aucune intervention humaine significative ne s’est produite depuis son abandon au XVIe siècle jusqu’à sa redécouverte au XIXe siècle. La configuration géographique, l’isolement et l’inaccessibilité du lieu ont contribué à garder intacte l’authenticité des sites précolombiens. »

 

À l’intérieur même du Parc national Río Abiseo se retrouvent 36 sites archéologiques précolombiens dont le « Gran Pajatén ». Il n’est d’ailleurs pas accessible aux visiteurs. Certaines expéditions s’y rendent sous permission gouvernementale. Il est actuellement, disons, à l’état « brut », protéger par la végétation. Le site, situé à 2 850 m d’altitude, est un lègue du peuple Chachapoyas ou encore des «guerriers des nuages ». Il est difficilement accessible pour des raisons qui relevaient à l’époque de la sécurité et de stratégies défensives. Le style des Chachapoyas se reconnaît facilement au niveau architectural. Selon Turismoi, leurs bâtiments se démarquent par leur forme circulaire avec des reliefs sculptés dans la pierre, principalement composés de motifs géométriques mais également de représentations animales et humanoïdes13.

Les Chachapoyas ont construit d’importants monuments et je ne pourrais passer sous silence la magnifique forteresse de Kuélap (qui est officiellement une cité fortifiée), située dans la région Amazonas, au nord/nord-ouest de la région San Martín. La forteresse, érigée autour du XIe siècle, se retrouve à 3 000 m d’altitude14 (Diario La Capital). Impressionnante dans ses dimensions, elle fait 592 m de long, 111 m de large et présente une muraille qui atteint presque 20 m de haut par endroits15 (Enperu). Pour l’ériger, elle aurait nécessité 3 fois le volume de matériel nécessaire à la construction de la Pyramide de Khéops en Égypte16 (elpopular).

Je peux témoigner de l’expérience vécue puisque lors de ma première visite à Kuélap en 2015, je pouvais compter sur les doigts d’une main le nombre de touristes présents. Évidemment, depuis, le nombre de visiteurs a augmenté. La mise en fonction du premier téléphérique au Pérou, l’an dernier, qui parcourt une distance de 4 km en 20 minutes, a attiré davantage de touristes. Il offre une vue panoramique sur un paysage de montagnes, de vallées et de champs agricoles. Ce sont 130 000 touristes en 2017 qui ont visité la forteresse, soit le double de 201617  (Andina, Agencia peruana de noticias). Maintenant, s’il s’agit d’un impressionnant coup de pouce au développement touristique, il restera à évaluer la gestion et les impacts durables ou non du projet. Déjà, les opinions sont divisées sur le sujet. Si certains y voient une solution plus écologique et plus rapide à la route traditionnelle, d’autres se désolent de la pollution visuelle des pylônes et de l’impact à prévoir sur les villages situés le long du chemin traditionnel18 (Perú Excepción).

Tourisme communautaire

Maintenant, je souhaiterais vous parler d’expériences touristiques en milieu communautaire, souvent considérées comme du tourisme alternatif en comparaison au tourisme de masse. Selon le Réseau Veille Tourisme, le tourisme communautaire est décrit comme étant « local et géré par la communauté qui, par conséquent, reçoit une bonne partie des bénéfices »20. J’ai d’ailleurs le privilège de travailler comme volontaire en tourisme auprès de communautés locales et autochtones afin d’améliorer leur offre touristique. Évidemment, vous comprendrez que mon rôle est de conseiller les communautés dans le développement touristique durable pour qu’ils puissent bénéficier des impacts du développement et améliorer leurs conditions de vie. Le même article du Réseau Veille Tourisme relève les 6 éléments principaux du tourisme communautaire : participation et formation de la communauté, collaboration et partenariat avec l’industrie, gestion et autonomisation locales, objectifs environnementaux et communautaires, aide des secteurs public et privé et considérations financières pour une durabilité à long terme.

Du côté du visiteur, ce dernier aspire à vivre une expérience authentique avec la communauté d’accueil qui partage avec lui ou elle son mode de vie, ses coutumes et sa culture. C’est également une opportunité pour les communautés locales de créer des moments d’échange entre elles et les visiteurs. En discutant avec certaines femmes à l’intérieur des communautés, elles me mentionnaient qu’elles voyaient, à travers le tourisme, une opportunité de revaloriser leurs coutumes pour qu’elles puissent non seulement être partagées, mais également transmises aux jeunes générations.

Dans le cadre de mon mandat cette année, j’ai l’occasion de travailler, avec deux de mes collègues volontaires du programme Uniterra, Marie-Hélène Couette et Christian Claveau, auprès de deux communautés autochtones. Pour ce faire, nous travaillons en collaboration avec l’Université César Vallejo (UCV). Notre rôle de conseillère ou de conseiller nous permet d’appuyer ces projets à travers la participation et l’implication d’étudiants et de professeurs de la UCV. Nous souhaitons ainsi renforcer les capacités des étudiants dans le développement touristique et améliorer l’offre et la promotion touristiques au sein des communautés. Évidemment, le processus n’est pas sans défis pour ces communautés, que ce soit à travers le processus de décision, de gestion ou de mise en action. Mais je mentirais si je ne vous disais pas ô combien les rencontres, les échanges réalisées et la confiance partagée avec les communautés locales sont gratifiantes et encourageantes.

Et vous?

Il est possible de visiter les lieux les plus magnifiques au monde, mais je pense sincèrement que l’inoubliable réside souvent dans la générosité et l’accueil des gens rencontrés. Tenterez-vous de vivre l’expérience du tourisme communautaire lors de votre prochain voyage?

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