Cette question m'a été posée à maintes reprises lors de mon dernier passage à Montréal. Chaque cas étant unique, je tâcherai d'y répondre à partir d'une expérience personnelle acquise en tant que volontaire «professionnelle long terme» à Tarapoto, dans l'Amazonie péruvienne.
Tout d'abord, j'insiste sur le fait que je suis une volontaire, et non une missionnaire ou une bénévole, et je ne prétends pas être dotée d'une philanthropie singulière ou de vouloir à tout prix sauver la veuve et l'orphelin. Le programme canadien de coopération volontaire internationale pour lequel je travaille, Uniterra, recrute des professionnel(le)s pour accompagner, former et appuyer des partenaires locaux en vue d'améliorer les conditions socio-économiques des populations locales en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes. Dans ce contexte, le terme
volontariat renvoie à un engagement personnel, basé sur des valeurs de solidarité et de partage, pour mettre à profit ses connaissances, ses aptitudes et ses énergies au service de populations dites plus «vulnérables».
Personnellement, je me suis lancée dans cette aventure pour des raisons plutôt rationnelles, communes à bien des jeunes diplômés. En septembre 2014, alors dans la mi-vingtaine et tout juste diplômée d'une maîtrise en études du développement, je désirais m'épanouir tant sur le plan professionnel que personnel, tout en espérant apporter ma modeste contribution afin que les générations futures héritent d'une planète où il ferait mieux vivre. Le programme que proposait Uniterra répondait aux critères que je m'étais fixés: un travail sur le terrain, des problématiques intéressantes, une compensation financière suffisante pour subvenir à mes besoins, et des responsabilités stimulantes.
Des apprentissages bien au-delà de mes attentes
Aujourd'hui, après plus d'un an à œuvrer sur les défis de cette région du Pérou, je suis à même de constater combien cette expérience est enrichissante. D'un point de vue professionnel, trois caractéristiques se sont avérées essentielles à mon travail: la débrouillardise, la créativité et l'adaptation. Trois qualités - je le réalise aujourd'hui - qui n'avaient jamais vraiment été sollicitées au cours de mes expériences précédentes, où il m'était plutôt demandé de répondre avec efficacité à des objectifs bien précis.
Bien que le mandat qui m'ait été confié exige un suivi sur les résultats obtenus, je bénéficie d'une grande autonomie quant à la manière de les atteindre. La réalité du terrain est en effet empreinte de plusieurs changements politiques, climatiques et socioéconomiques, qui m'obligent à faire preuve de flexibilité, de créativité et de perspicacité pour adapter et élaborer des mesures qui seront soutenables à long terme.
Car le plus grand défi de mon travail demeure le fait qu'il puisse perdurer et exister après mon départ. Mener à bien un projet est une chose, mais faire en sorte que d'autres se l'approprient et le poursuivent est une toute autre histoire. Cette durabilité du projet implique notamment une transmission de connaissances et d'aptitudes qui constitue en soi un défi très stimulant, puisqu'il est basé avant tout sur l'échange et le sentiment d'un projet commun et collectif.
Ce défi est moins ardu lorsque l'on répond directement à un besoin essentiel d'une communauté qui soit tangible et sur le court terme. À titre d'exemple, il me fut très facile de mobiliser les habitants de la localité de Sisa, toujours dans l'Amazonie péruvienne, autour de la construction d'infrastructures leur permettant d'avoir un accès à l'eau potable. Toutefois, lorsque j'essaie de pousser ce projet plus loin en tentant de sensibiliser ces habitants à l'importance de freiner le déboisement qui survient en amont de la rivière qui approvisionne cette infrastructure, et ainsi leur assurer un accès à l'eau en qualité et en quantité à long terme, l'exercice devient beaucoup plus complexe.
Pourquoi l'étranger?
Une question revient constamment lorsqu'on travaille dans le domaine de la solidarité internationale: pourquoi mettre ses connaissances et ses expériences au profit d'une communauté de l'Amazonie péruvienne, par exemple, plutôt qu'ici au Québec et au Canada?
Bien que l'idée d'investir mes efforts au Québec m'enthousiasme particulièrement, je considère que les enrichissements que j'acquiers à l'étranger sont inestimables. Je suis confrontée à de nouvelles visions, croyances, coutumes, hiérarchies, et bien plus. J'ai ainsi appris petit à petit à me mettre à la place de l'«autre», à connecter avec sa réalité et à comprendre ses besoins.
Grâce à cette ouverture, j'y déconstruis entre autres les «normes et valeurs carriéristes» propres à notre société nord-américaine grandement basée, qu'on le veuille ou non, sur l'hyperconsommation.
Le volontariat: à l'opposé de la logique carriériste
Selon moi, nos sociétés dites «modernes» nous incitent trop souvent à poursuivre et à prioriser une «carrière» au sens communément utilisé du terme, soit celui de la poursuite d'une ambition personnelle d'atteindre un statut professionnel et individuel de «réussite sociale».
Or, la voie du volontariat est à l'opposé de cette vision de la «carrière» imposée socialement. Le volontariat c'est faire assez d'argent pour vivre, mais pas assez pour investir ; être autonome, mais sans avoir de réelles perspectives d'avancement puisqu'il n'existe aucun poste «supérieur» ; développer des projets stimulants ainsi que des aptitudes interpersonnelles essentielles, mais sans réellement acquérir de compétences «techniques» tant valorisées par la vision productiviste actuelle ; marquer les gens avec lesquels on travaille, certes, mais en sachant bien qu'une fois de retour le titre de «volontaire» comportera toujours une connotation impropre aux stéréotypes de la «réussite».
Alors pourquoi partir comme volontaire à l'étranger?
Ce n'est donc ni pour atteindre une soi-disant «réussite sociale» selon la logique carriériste habituelle, ni pour jouer au missionnaire postcolonial que l'on part. C'est pour vivre une expérience unique qui s'insère dans une démarche personnelle et professionnelle où l'échange, la créativité, la débrouillardise et l'empathie doivent prévaloir.
Peut-être bien qu'avec le temps les notions de «carrière» et de «réussite» s'éloigneront de leurs caractères de plus en plus techniques et matériels pour se rapprocher de valeurs plus humaines.
Est-ce pour changer le monde? Je rêve bien sûr à de grands changements collectifs, mais pour l'instant, le volontariat me permet d'apporter mon humble contribution dans une infime portion de l'Amazonie péruvienne, et il engendre dans une plus large mesure le désir d'un projet de vie orienté vers le respect de l'autre et de l'environnement.
Ce billet a été originalement publié sur le blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, et a été écrit par Elizabeth Laval, conseillère pour la promotion de la participation citoyenne et de l'égalité femme-homme au Programme Uniterra, mis en œuvre par le CECI et l'EUMC depuis 2004. Une version courte de cet article, intitulée «Une petite contribution motivée par de grands idéaux», a initialement été publiée le 11 octobre 2015 à La Presse.