Nouvelle
Selon l’Organisation des Nations Unies, le nombre de personnes touchées par des crises humanitaires a presque doublé au cours de la dernière décennie (1). Catastrophes naturelles ou climatiques, guerres, vagues migratoires… : les situations d’urgence auxquelles font face les pays en développement sont multiples, toujours complexes. Et incessantes. Car si les médias consentent à évoquer épisodiquement la situation en Syrie ou en Haïti, de nombreuses crises toutes aussi majeures, comme celles que vivent le Sud-Soudan ou le Yémen, sont largement passées sous silence… sans parler de l’immense majorité des quelque 300 crises qui apparaissent en moyenne chaque année (2).
Dans ce contexte, une réflexion sur l’aide internationale et la nature des interventions menées à la fois par les agences humanitaires et les ONG de développement s’imposait. Elle s’est tenue à Montréal, en janvier dernier, dans le cadre du Forum International organisé par le CECI et l’EUMC.
Tremblements de terre, sècheresses, conflits armés… : désormais, dès lors qu’une crise majeure survient (et qu’elle est couverte par les médias) le travail des actrices et des acteurs de l’aide internationale est examiné avec attention. Salué, il est aussi souvent critiqué et accusé de bien des maux. Le gaspillage, l’inadéquation entre l’aide apportée et les besoins réels, la lenteur de la réponse ou encore le manque de coordination entre les différentes parties sont des critiques récurrentes.
L’un des aspects portant le plus à polémique concerne la durée même de la présence du personnel d’intervention: trop longue, elle équivaudrait à de l’ingérence menant à des situations de dépendance ; trop courte, elle serait synonyme de départ précipité et de travail inachevé.
Or, sur chaque terrain d’intervention, se croisent et se superposent deux types d’organisations à la logique bien différente : les agences humanitaires et les ONG de développement.
« Pour les distinguer, il faut se fier à deux indicateurs très simples : leur cible et le moment durant lequel elles vont intervenir ». François Audet
« L’action humanitaire d’urgence vise à se rapprocher le plus possible du temps zéro du déclenchement de la crise explique François Audet, directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaire (OCCAH) et professeur agrégé à l’École des Sciences de la Gestion de l’Université du Québec à Montréal. On s’adresse aux individus : il s’agit de sauver des vies, d’alléger les souffrances, de protéger les civils. L’action de développement, elle, tend à s’éloigner du moment zéro et cible davantage les organisations, les institutions, les différents niveaux de gouvernance pour une collaboration sur le long terme ».
S’il est habituel d’opposer en théorie ces deux logiques d’action, force est de constater que sur le terrain ces interventions aux objectifs différents n’entrent pas systématiquement en conflit. En tous cas, selon les panélistes invités à témoigner de la réalité de la situation lors de crises humanitaires, elles ne le devraient pas. Bien au contraire, ils plaident pour une complémentarité et une collaboration toujours plus significatives entre ces deux types d’aide – en soulignant d’ailleurs que pour les communautés concernées, la distinction entre l’aide d’urgence et l’aide au développement en est essentiellement une d’ordre sémantique.
Pour Eugene Orejas, directeur général du Center for Emergency Aid and Rehabilitation (CONCERN) une ONG philippine partenaire locale du CECI, une proximité et une certaine coordination entre les deux types d’interventions sont en réalité indispensables. « Le concept de développement doit être intégré dans l’humanitaire » insiste-t-il.
« Il faut inscrire les projets à long terme dès le début des interventions d’urgence ». Eugene Orejas
Créée en 1987 pour venir en aide aux populations sinistrées d’un typhon, CONCERN a d’abord mené uniquement des actions d’urgence (et continue de le faire). Mais, de tremblements de terre en éruptions volcaniques, « nous avons réalisé que l’humanitaire n’est pas assez et qu’il faut aussi préparer les gens avant que le désastre n’arrive » explique Eugene Orejas. CONCERN a donc élargi son axe d’action pour s’inscrire dans le long terme – « comment sinon s’assurer que nos interventions vont avoir des résultats durables? L’humanitaire seul ne le permet pas».
L’ONG a ainsi aidé les communautés à identifier les risques propres à leur zone et à préparer un plan de réponse applicable immédiatement en cas de désastre (système d’alerte, plan d’évacuation, etc.). En terme de mitigations des risques, l’organisation a entre autre appuyé la reforestation de certaines zones côtières ou la restauration de mangroves (celles-ci constituant un frein et une protection lors de vents violents).
Pour le CECI et CONCERN, un seul mot d’ordre: « laisser les communautés décider de ce dont elles ont réellement besoin». Eugene Orejas
Partenaire depuis 2010, le CECI épaule CONCERN dans certaines interventions d’urgence mais surtout dans ses projets de prévention, de développement et de renforcement de capacités: construction d’un centre d’évacuation, formation des responsables de communautés en charge de la gestion des catastrophes, appui à un plan triennal d’agriculture climatologique (entamé en 2016) permettant aux populations sinistrées de subir moins de dégâts en cas de désastres et ainsi retrouver plus rapidement un moyen de subsistance (plantation de cocotiers moins hauts et plus résistants ou relocalisation de cultures par exemple), aide à la création de micro-entreprises pour les femmes, etc.
« C’est la force du CECI souligne Eugene Orejas. Travailler de concert avec un partenaire local qui a bâti au fil des ans un réseau au sein de plus de 200 communautés lui permet d’appuyer des projets pertinents pour la population. C’est essentiel pour répondre aux besoins réels des gens. Après le passage du typhon Haiyan, si vous saviez le nombre de bateaux de pêche neufs que des organismes étrangers nous ont offerts, en pensant sans aucun doute bien faire. Sauf que la tempête avait détruit les récifs coralliens et qu’il ne restait aucun poisson à pêcher dans les eaux environnantes! ».
Tout en affirmant qu’il n’y a pas un modèle unique de réponse à une crise humanitaire, et que la nature et la durée des actions à entreprendre dépendent du contexte, Oumar Diack croit que quelle que soit l’urgence, il ne faut surtout pas agir précipitamment. « Si on ne prend pas le temps d’identifier les vraies cibles et de consulter les populations, les objectifs ne seront pas atteints » assure le Sénégalais qui gère les projets de développement pour la Fédération des Associations du Fouta pour le développement (FAFD), une ONG créée en 1986 qui intervient dans les régions de Saint-Louis et Matam. Par ailleurs coordonnateur des projets humanitaires du CECI dans la région nord du Sénégal, Oumar Diack insiste également sur la souplesse et l’adaptabilité dont les intervenantes et intervenants extérieurs doivent pouvoir faire preuve à tout moment.
« Une fois que l’on connaît la réalité de la situation, il faut être capable d’ajuster ses actions ». Oumar Diack
Présent depuis 2009 par l’entremise de volontaires du programme Uniterra, le CECI avait ainsi décidé avec la FAFD de lancer en 2012 un projet de développement agricole axé sur la culture du maïs. Mais la situation que les deux organismes ont découverte sur place a imposé une révision des priorités. « Quand nous sommes arrivés avec le CECI dans la région très éloignée du Ferlo, la population semblait y être laissée à elle-même » raconte Oumar Diack qui déplore que trop souvent les zones les plus enclavées et donc les plus vulnérables sont aussi, par commodité, les plus délaissées par l’aide internationale.
Suite à un déficit pluviométrique et de mauvaises récoltes les années précédentes, la région était en situation de crise alimentaire. Les familles n’avaient plus de quoi assurer les repas quotidiens, le bétail mourait, les éleveurs partaient.
« Il fallait régler les problèmes d’urgence avant de pouvoir lancer un projet de développement. Mais il était essentiel d’inclure dans cette réponse des actions ayant une portée à long terme». Oumar Diack
Après plusieurs semaines dédiées à la collecte de données et au ciblage des zones vulnérables, un premier projet humanitaire d’urgence de douze mois est lancé conjointement par le CECI et la FAFD. Trois suivront avec pour objectif de « renforcer la résilience et améliorer la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables en vue de rebâtir la chaine de sécurité alimentaire ». Pour ce faire, les actions posées par le CECI et son partenaire seront multiples : distribution de semences à cycle court, d’outils agricoles et d’aliments pour le bétail, formation sur les techniques culturales, installation de jardins maraichers destinés aux femmes, fonçage et réhabilitation de puits, mise en place de greniers de sécurité alimentaire, sensibilisation sur la nutrition …
« Dans les zones touchées par une sécheresse chronique, il faut d’abord aller vers des actions qui renforcent la résilience des populations avant de pouvoir envisager des projets de développement explique le Sénégalais qui cumule plus de 25 ans d’expérience. Mais pour cela il faut quand même quelques investissements, sans quoi les populations cibles ne décolleront pas. Les partenaires financiers refusent parfois d’investir dans des choses qu’ils considèrent comme non urgentes. Mais creuser un puits quand le premier point d’accès à l’eau est à 6 km, ou poser du grillage pour protéger les jeunes pousses d’un jardin maraîcher que l’on vient d’installer, c’est pertinent » affirme avec force le gestionnaire de projet.
Faire en sorte que les actions humanitaires d’urgence portent en elles les bases d’un développement à plus long terme est une avenue qui, pour les populations des pays en développement et selon les organisations locales, s’apparente plus que jamais à une nécessité – au même titre que le renforcement de leurs capacités.
C’est que l’aide internationale, qui requiert une participation financière sans cesse grandissante des États, ne peut être, seule, sur tous les fronts. Les conflits durent de plus en plus longtemps; les catastrophes naturelles, sous l’effet des changements climatiques et de la dégradation environnementale, vont devenir encore plus fréquentes et violentes.
En décembre, l’ONU a demandé 22,2 milliards de dollars pour financer ses programmes d'aide humanitaire qui seront dispensés cette année à plus de 90 millions de personnes vulnérables dans le monde.
C’est le montant le plus élevé jamais demandé de son histoire.
(1) Entre 2005 et 2015. Chiffres du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA)
(2) Source ReliefWeb