La nouvelle politique d'aide internationale féministe du Canada, lancée récemment par la Ministre du Développement international et de la Francophonie, Marie-Claude Bibeau, est audacieuse et novatrice. Elle prévoit que 95 % du budget d'aide, actuellement de 5 milliards de dollars par année, "visent ou intègrent l'égalité des sexes et le renforcement du pouvoir des femmes et des filles". Il n'y aura plus de pays prioritaires comme auparavant. Cette politique soulève aussi des interrogations et comporte des défis importants pour sa mise en œuvre.

Une politique novatrice.

La nouvelle politique se base sur le constat que l'aide est plus efficace lorsqu'elle cible les femmes. Déjà en 2005, l'économiste Jeffrey Sachs avait démontré dans son livre, The end of poverty, que le moyen le plus sûr de vaincre la pauvreté était d'éduquer les filles. De façon similaire, Muhammad Yunus, prix Nobel de la paix 2006, a démontré que la Grameen bank qu'il a fondé a obtenu d'incroyables succès par des petits prêts octroyés aux femmes.

Auparavant, tous les projets tenaient compte de l'égalité entre les femmes et les hommes, mais souvent d'une façon superficielle, et peu d'initiatives visaient uniquement les femmes. L'égalité des sexes et le renforcement du pouvoir des femmes et des filles deviennent des objectifs prioritaires de tous les champs d'action de l'aide canadienne: la dignité humaine (santé, éducation et aide humanitaire), la croissance pour tous, l’environnement et l’action pour le climat, la gouvernance inclusive, et la paix et la sécurité. 

Des défis à relever dans l'application de la politique.

Cette politique risque d'être accueillie avec réticence dans certains pays parmi les plus pauvres où les coutumes et les valeurs religieuses ne prônent pas de tels principes. Les diplomates canadiens devront faire preuve de doigté dans le dialogue à mener avec les autorités de ces pays pour que cette politique, basée sur des valeurs que nous considérons comme universelles, ne soit pas rejetée. 

La nouvelle politique ne fait nullement allusion à certaines ententes internationales clefs en matière d'aide au développement, notamment à la Déclaration de Paris sur l'efficacité de l'aide, dont le premier principe est "l'appropriation" par les pays de leurs priorités de développement. Un dialogue constant sera certes requis pour que les pays réticents endossent cette politique féministe. Espérons que le Canada ne doive pas retirer son aide à des pays pauvres sous prétexte d'une non adhésion à la nouvelle politique! Si c'était le cas, est-ce que le Canada serait aussi prêt à rompre les relations commerciales avec ces pays?

Il est à espérer que cette politique soit appliquée avec discernement et souplesse. Ainsi, nous pensons qu'elle devrait permettre de continuer à financer des projets plus généraux, notamment dans le domaine des réformes de gouvernance des institutions publiques ( lutte à la corruption, réforme de la justice, des finances publiques etc.), dans la mesure où leur contenu tiendra vraiment compte de l’égalité des sexes et du renforcement du pouvoir des femmes. De même, dans le champ de la santé, il y a consensus parmi les spécialistes de l'Organisation mondiale de la santé à l'effet qu' un système de soins de santé de base performant pour tous est nécessaire pour l' amélioration de la santé sexuelle et reproductive des femmes. Nous considérons également qu'il faut continuer à appuyer les organisations des sociétés civiles dans leur ensemble, étant donné leur importance dans la consolidation de la démocratie.

La politique antérieure ciblait des pays prioritaires dont la liste s'était fortement allongée au fil du temps, la rendant incohérente. Cependant, la décision de supprimer la notion de pays prioritaires ouvre la porte à cibler des pays selon des critères politiques et commerciaux et non selon leur niveau de pauvreté et leur volonté de changement. La décision de consacrer 50% du budget aux pays africains ne changera pas grand chose puisque déjà 47 % du budget sont consacrés à l'Afrique. 

Un budget d'aide en décroissance.

Il est décevant que le gouvernement n'ait pas augmenté le budget de l'aide, comme il vient de le faire pour la nouvelle politique de défense. L’aide canadienne ne représente maintenant que 0.26% du PIB et le Canada se situe ainsi dans le derniers tiers des pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économique. Le budget ne représente plus en pourcentage que la moitié de celui alloué dans les années 90! Paradoxalement, le budget de la défense représentera près 1,4 % du PIB d’ici quelques années, soit une augmentation de 70%!

Il est probable que cette nouvelle politique canadienne ait une forte résonance internationale; elle fait partie de la stratégie du "Canada est de retour", énoncée par le Premier Ministre Trudeau. Elle est certes novatrice mais devrait connaître certaines difficultés dans son application.Espérons que le caractère innovateur de la politique ne serve pas à masquer la piètre performance du Canada en matière de financement de l'aide internationale!

Groupe de réflexion sur le développement international et la coopération (GREDIC). Robert Letendre, Nigel Martin, Yves Pétillon, Mario Renaud, Pierre Véronneau et Nicole Saint-Martin, anciens directeurs généraux d'organismes de coopération internationale et/ou anciens cadres de l'Agence canadienne de développement international (ACDI).

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