Nouvelle
25 avril 2015. La terre tremble au Népal. D’une magnitude de 7.9 sur l’échelle de Richter, le puissant séisme dévaste une grande partie du pays: 8 millions de personnes sont affectées, plus du quart de la population totale. On dénombre près de 9000 morts, 20 000 blessés, un demi-million d’habitations détruites.
De partout, les secours affluent. Sur le terrain, les organisations humanitaires et les agences gouvernementales déploient leurs équipes. A leurs côtés, comme cela est de plus en plus le cas lors de crises semblables, de nouveaux acteurs sont présents, désireux eux aussi de porter secours aux populations sinistrées : des entreprises, locales et étrangères.
L’implication grandissante du secteur privé lors des interventions humanitaires est encore loin d’aller de soi, et ce même si l’ampleur et la fréquence des crises internationales laissent présager de nécessaires évolutions dans les réponses d’aide d’urgence.
Lors du Forum International organisé par le CECI et l’EUMC en janvier dernier à Montréal, la question de la vocation humanitaire des entreprises privées a été débattue, à la lumière de l’expérience népalaise.
Retour sur ce sujet d’actualité, alors que deux ans après le séisme, le Népal peine à se relever.
Comme tous ses compatriotes, Rajendra Prasat Adhikari se souvient précisément de l’endroit où il se trouvait à 11 heures 56 du matin, ce 25 avril 2015, lorsque la terre de son pays a tremblé. Sur le point de sortir de sa voiture, stationnée non loin du centre de Katmandou, la portière déjà ouverte, il s’est immédiatement assis sur la route en attendant la fin du séisme, alors que près de lui s’effondrait une vieille maison. Quelques heures plus tard, l’universitaire arpentait les rues de la capitale, prenant la mesure de l’ampleur du drame. Il se souvient qu’au milieu du chaos, déjà, des entrepreneurs locaux étaient à l’œuvre.
UN SUPPORT ESSENTIEL
« Le secteur privé local a été très actif pour faciliter les toutes premières opérations de secours et fournir abris, nourriture, eau et argent relate Rajendra Adhikari, membre du comité aviseur du CECI au Népal. Connaissant les communautés, ils ont pu agir seuls et vite. Par la suite, les acteurs privés étrangers ont eux eu besoin d’intermédiaires pour pouvoir rejoindre les communautés affectées. Mais dans tous les cas, dans le cadre d’une situation d’urgence et pour des pays en développement comme le Népal, l’aide du secteur privé est essentielle et fait une différence» assure-t-il. Et de citer les bus mis à disposition par les écoles privées pour évacuer les populations sinistrées, des filtres à eau donnés au CECI par une entreprise hollandaise, les compagnies aériennes offrant du transport, etc.
DES BESOINS EN TEMPS DE RECONSTRUCTION
Mais s’il salue l’intervention des entreprises privées étrangères dans la réponse d’urgence, Rajendra Adhikari s’étonne de leur faible visibilité quand vient le temps de la reconstruction et de la réhabilitation.
« Nous avons des besoins importants, par exemple pour ce qui est du démantèlement de bâtiments endommagés et la gestion des débris. Nous avons besoin de compétences, d’équipements et de technologies affirme Rajendra Adhikari, également consultant auprès d’organismes internationaux et d’agences gouvernementales népalaises relativement à des projets de développement d’infrastructure.
Soulignant qu’un désastre créé toujours des opportunités d’affaire, il estime que la situation constitue pour les acteurs privés étrangers, et parmi eux les entreprises canadiennes, « une occasion unique d’identifier leurs forces, d’apprendre à connaitre le marché népalais, d’établir un réseau avec la communauté d’affaire locale pour connaitre avec précision ses besoins et attentes ».
Keshava Koirala, le directeur pays du CECI au Népal, pense que les entreprises canadiennes pourraient, selon leur domaine d’expertise, directement aider à relancer les PME népalaises (qui représentent 90% du secteur privé national). « En collaborant, en transférant les connaissances, en ayant une approche de développement durable, ces entreprises pourraient améliorer notre infrastructure, fournir des compétences techniques, du soutien marketing ou encore créer des opportunités d’emplois» explique Keshava Koirala qui a supervisé plusieurs projets de gestion des catastrophes au Népal et dans d’autres pays.
DE PART ET D’AUTRE, SCEPTICISME ET PRÉJUGÉS
Mais alors, une fois présentes sur le terrain, en relation étroite avec la communauté d’affaires locale, les entreprises canadiennes pourraient-elles bénéficier d’un accès privilégié à de nouveaux marchés?
Une telle éventualité fait frémir les humanitaires, nombreux à penser que seules la recherche du profit et la perspective d’accéder à de nouveaux marchés motivent le secteur privé. D’où la méfiance avec laquelle ils jugent les velléités d’intervention des entreprises dans les opérations d’aide internationale. Cette inquiétude, parmi d’autres, fait partie des idées préconçues que le secteur privé et celui des humanitaires entretiennent l’un envers l’autre, et qu’une étude menée en 2015 par le Conference Board du Canada a mis en lumière. Un fossé de stéréotypes et de préjugés semble séparer ces deux mondes qui ne se connaissent pas, se comprennent mal et se parlent peu.
Effectuée à la demande de la Coalition Humanitaire qui souhaitait voir comment améliorer la collaboration entre les deux secteurs pour éventuellement développer des partenariats et ainsi rendre l’aide humanitaire plus efficace, cette recherche a quand même montré l’existence d’un intérêt mutuel à se rapprocher et même une similitude dans les motivations qui suscitent l’engagement des uns et des autres (au premier rang desquels se trouve le souhait de venir en aide à des populations dans le besoin – les motivations commerciales figurant, pour le secteur privé, en dernière place).
UNE MEILLEURE COMMUNICATION … ET APRÈS?
Mais un rapprochement ne pourra s’effectuer qu’avec une meilleure communication et une sérieuse planification estime Marie-Eve Bertrand, responsable des partenariats avec le secteur privé à la Coalition Humanitaire.
Selon elle, le défi majeur est de favoriser le dialogue et d’établir une relation constructive avant que la crise n’éclate. « Il faut aller au-delà d’une réponse d’urgence réactive et ponctuelle, bien intentionnée mais qui se fait parfois dans la confusion et sans véritable concertation avec les agences qui sont à ce moment-là en pleine gestion de crise. Il faut prévoir un processus d’intervention, structuré, détaillé et réfléchi. Pour cela, il convient d’établir des liens suivis et réguliers entre le secteur privé et les organisations humanitaires. Celles-ci, de leur côté, doivent apprendre à mieux communiquer leurs besoins et mieux rapporter les retombées de leur travail ».
Selon l’étude menée par le Conference Board du Canada, la contribution des entreprises canadiennes est avant tout d’ordre monétaire (argent et espaces publicitaires), mais elles se disent prêtes à en faire davantage.
« Il faut maintenant savoir ce que les humanitaires seront en mesure d’accomplir avec leurs ressources limitées, et prendre le temps de se pencher sérieusement sur la question. Un don en argent n’est pas un partenariat insiste Marie-Eve Bertrand. Selon le rapport, les ONG se disent préoccupées par le coût et les risques associés à une collaboration plus étroite avec le milieu des affaires...
VERS UN PARTENARIAT DE TYPE NOUVEAU
Le Suisse Henri Dunant, fondateur en 1863 de ce qui deviendra le Comité International de la Croix-Rouge, n’était-il pas lui-même un homme d’affaires ? Elodie Le Grand, présidente et fondatrice de Consentia, un cabinet de consultation en responsabilité sociale, aime à le rappeler. La jeune femme, qui cumule par ailleurs plus de 15 années d’expérience au sein d’organisations internationales, est convaincue que dans un monde où les besoins en assistance humanitaire ne cessent d’augmenter, le secteur privé peut contribuer à la solution.
« Bien sûr chaque secteur a sa propre acceptation des risques encourus, ses propres attentes sur les objectifs à atteindre et à quel moment, etc. Mais dans la mesure où les entreprises et les ONG adhèrent aux mêmes principes d’imputabilité, de transparence et de respect de l’éthique, les possibilités de collaboration sont multiples, particulièrement pour le soutien à la reconstruction avec du transfert d’expertise, du parrainage d’entreprise, des dons de matériel, etc. estime Elodie Le Grand. Dans tous les cas, l’aide, qui doit être conçue et développée ici pour pouvoir être déployée sur le terrain, doit s’inscrire dans un partenariat qui permet la flexibilité et la créativité».
DES INITIATIVES INTERNATIONALES
Si, au Canada, l’implication du secteur privé dans la réponse humanitaire semble n’être encore qu’une ébauche de réflexion, plusieurs initiatives internationales d’envergure (2) confirment qu’il est possible d’aller de l’avant et de mettre en œuvre des partenariats significatifs. Des initiatives dont le Canada pourrait certainement s’inspirer, alors que les ONG doivent faire face à des crises toujours plus longues, nombreuses et coûteuses.
À lui seul, le coût de la reconstruction suite au tremblement de terre au Népal a été estimé à quelque 7 milliards de dollars US.
(1) 34 entreprises privées (dont 11 qui comptent parmi les 100 plus importantes sociétés canadiennes) et 10 ONG ont répondu à des questionnaires en ligne et participé à des rencontres communes. L’étude a débuté en octobre 2014, les résultats ont été dévoilés en novembre 2015.
(2) Par exemple : The Connecting Business Initiative, lancé en 2015 par le Programme des Nations Unies pour le Développement et le Bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires, Small and Middle Enterprises for Humanity (SME4H) en mai 2016 ou encore Global Humanitarian Lab en juillet 2016.
Le Forum international du CECI et de l'EUMC est un rendez-vous annuel stimulant où sont partagées les meilleures idées et pratiques du développement international. Il est réalisé avec l’appui financier du gouvernement du Canada par le biais d’Affaires mondiales Canada.
Crédit photo : Kiran Ambwani et Dilip Chinnakonda