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Journée internationale des femmes rurales : Rencontre avec Dado Baldé, cheffe du projet Femmes et agriculture résilientes au Sénégal

Sénégal

Ingénieure des travaux agricoles, Dado Baldé, 49 ans, a rejoint le CECI en 2017. D’abord recrutée pour un poste de volontaire à Dakar, elle vit désormais dans la ville de Kolda, d’où elle dirige le projet Femmes et agriculture résilientes (FAR), qui offre un appui aux femmes et aux jeunes productrices du sud et sud-ouest du Sénégal, dont les conditions de vie sont mises à mal par les impacts des changements climatiques.

À l’occasion de la journée internationale des femmes rurales, célébrée le 15 octobre, Dado Baldé nous offre une incursion dans la réalité de ces femmes de Casamance dont elle salue la force et la détermination. Elle nous parle également des enjeux de ce projet quinquennal qui vise à faire de celles qui sont aujourd’hui les premières victimes des impacts du dérèglement climatique, des actrices incontournables pour les changements durables de demain.

Vous êtes née et avez grandi à Dakar, la capitale du Sénégal. Comment une citadine comme vous a-t-elle décidé de consacrer sa vie à l’agriculture ?

Mon père et ma mère sont originaires de la région de Kolda. C’est ici, dans leur région natale, en Casamance, dans le sud du Sénégal, qu’on venait passer les vacances. On y revenait tout le temps, et c’est dans ces moments-là que je me suis intéressée à l’agriculture et que j’ai compris, en vivant parmi ces communautés, ce qu’était la vie de ces femmes rurales.

Pendant les vacances, il était rare que je puisse passer une journée avec ma grand-mère. Elle partait tôt le matin, elle revenait tard le soir ; à l’image des autres femmes, elle s’activait à la production rizicole et aux cultures de plateau, comme l’arachide et le maïs. Et, en contre saison, elle cultivait et commercialisait des légumes. Ma grand-mère nous racontait que c’est en vendant les légumes du jardin, qu’elle cultivait pendant la saison sèche, qu’elle avait pu payer la scolarité de ma mère et de mes oncles. Avec des moyens rudimentaires de production, les femmes productrices ont participé à la valorisation de l’agriculture dans les régions de Kolda, Tambacounda et Sédhiou.

Donc j’ai aimé l’agriculture en observant l’engagement et la détermination des femmes qui réussissaient à subvenir aux besoins de leur famille. Et en voyant la fierté que ces femmes et ces hommes ressentaient ! Que peut-il y avoir de plus valorisant que d’être paysan, que de travailler pour faire vivre et nourrir sa famille et toute une communauté? Quand mon père m’a demandé ce que je voulais faire après le lycée, je n’ai pas hésité. C’était l’agriculture et rien d’autre !

Vous travaillez d’abord comme animatrice dans le programme de gestion de ressources naturelles et de substitution, puis œuvrez comme agente de développement pour des programmes de sécurité alimentaire à World vision. Pendant près d’une décennie, vous intervenez donc dans différentes communautés de cette région du sud du Sénégal, considérée comme le grenier agricole du pays, et côtoyez longuement les femmes casamançaises que vous apprenez à mieux connaitre. Qu’est-ce qui, selon vous, les décrit le mieux ?

Leur bravoure et leur abnégation !  Elles participent énormément au développement économique de leur village. Elles sont très présentes au sein des ménages, elles s’occupent des travaux domestiques, de l’éducation des enfants, des soins primaires et elles sont fortement impliquée à la cohésion sociale. Elles sont partout !

Mais, contrairement à la génération précédente, les productrices actuelles, et de manière générale les femmes du monde rural, sont plus vulnérables aux effets des changements climatiques. Leurs systèmes de production se fragilisent et elles ne sont pas préparées à y faire face.

Grâce à une bourse d’étude de la Fondation Ford, vous avez eu l’opportunité de faire votre    master en études internationales à l’Université Laval, à Québec. Vous êtes ensuite revenue en Afrique, d’abord au Burkina Faso, puis au Sénégal comme volontaire avec le CECI. A quel moment avez-vous pris conscience de la réalité des impacts des changements climatiques dans cette région ?

Je ne peux pas dire exactement quand les impacts ont commencé à se faire sentir, mais c’est certain que depuis mon retour, dans les 5 dernières années, j’ai noté des changements énormes par rapport au début des années 2000, surtout si l’on regarde au niveau de la pluviométrie.
Il y a 20 ans, la saison des pluies débutait au début du mois de mai. Actuellement, pour avoir une bonne pluviométrie, il faut aller au mois de juillet. Et les conséquences au niveau de la sécurité alimentaire sont énormes.

Prenons l’exemple du maïs : on pouvait le semer au mois de mai, avoir des premières récoltes en août, et cela permettait aux familles d’avoir de la nourriture et de faire face à la période de soudure. On pouvait semer à nouveau en août, pour une autre récolte en octobre. La pluviométrie permettait de semer autant de fois qu’on le pouvait et les greniers où l’on gardait les récoltes de riz, de maïs, d’arachides permettaient de subvenir aux besoins alimentaires des ménages pour toute une année. Avec le stock de riz de ma grand-mère, on pouvait manger jusqu’à la saison des pluies suivante.

Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Cette année, avec une pluviométrie instable, ça va être très dur pour les ménages de nourrir leur famille plus de 4 ou 5 mois. Les greniers ne se remplissent plus. D’ailleurs le mot même de « grenier » est en train de disparaitre…

En quoi est-ce que les femmes sont plus vulnérables que les hommes face aux impacts de ces changements climatiques ?

Aujourd’hui, avec les conditions climatiques que l’on connait, l’agriculture traditionnelle ne permet plus d’assurer la sécurité alimentaire pour toute une famille et toute une année. Cette agriculture de subsistance demande à être adaptée et modernisée.

Or, les femmes dépendent des ressources naturelles locales pour assurer leurs moyens de subsistance et ceux de leurs familles, en particulier dans les régions rurales où elles portent le fardeau des responsabilités familiales comme l'approvisionnement en eau, la collecte de combustibles pour la cuisson des aliments et le chauffage, ainsi que la sécurité alimentaire.

Par ailleurs, contrairement aux hommes, les femmes ont difficilement accès aux formations techniques, à l’information et aux ressources productives (terre, eau, matériel et équipement agricoles, intrants, etc.) et cela perpétue les inégalités économiques et sociales.

Le projet Femmes et agriculture résilientes (FAR) vise non seulement à renforcer la sécurité alimentaire des productrices mais aussi à accroitre leur autonomisation socio-économique en leur permettant d’accéder plus massivement à l’agriculture irriguée. Le plaidoyer pour l’accès aux ressources productives, aux équipements et à la terre des femmes rurales est justement au cœur du projet. Pouvez-vous nous en parler ?

Le droit des femmes rurales à l’accès aux ressources productives constitue un enjeu central dans notre zone. Les femmes et les jeunes représentent près de 70% de la main d’œuvre agricole au Sénégal. Si cette main d’œuvre-là n’a pas accès aux ressources productives, on ne pourra jamais parler de sécurité alimentaire, ni de l’amélioration des conditions économiques des communautés. Et les femmes ne pourront jamais faire face aux impacts des changements climatiques.
Aujourd’hui, on l’a dit, avec la diminution de la pluviométrie, sans parler de la hausse des températures, on ne peut plus se cantonner aux cultures pluviales, il faut développer les cultures irriguées, accompagner techniquement les femmes à se positionner au sein des chaînes de valeur des cultures irriguées afin qu’elles puissent capter les richesses issues de la production et de la commercialisation.

Donc ce que l’on dit aux autorités étatiques et coutumières, aux chefs religieux, aux chefs de village, aux maires, aux décideurs, c’est : il faut revoir les systèmes de financement ! Ne nous cantonnez plus dans des micro-crédits, des micro-prêts, des micro-jardins. Donner-nous la possibilité d’accéder aux ressources productives. Si j’ai besoin de 1000 $ pour acheter une motopompe pour irriguer mon jardin, ne me donnez pas juste 500$ parce que je suis une femme ! Si j’ai besoin de clôturer mon jardin, installer un système d’irrigation performant au même titre qu’un homme, accordez-moi des investissements conséquents !
Et donnez-moi des terres sécurisées avec un titre foncier qui va me permettre de garantir ces prêts et ces investissements, et qui va aussi permettre de pérenniser mes activités. Parce que le droit foncier traditionnel permet à la femme d’utiliser une terre sans que celle-ci lui appartienne. Or le propriétaire peut venir du jour au lendemain lui réclamer la parcelle qu’elle a valorisée et elle va perdre tous les investissements qui ont été consentis. Donc oui il faut aller vers cette agriculture irriguée, mais il y a des préalables. L’accès au financement, le contrôle et la propriété de la terre sont des éléments centraux de notre plaidoyer.

Au-delà de ce plaidoyer, central et essentiel, comment concrètement le projet FAR accompagne-t-il les femmes productrices dans cette transition nécessaire vers une agriculture irriguée ?

Le projet accompagne les productrices et producteurs des filières banane, riz et production maraîchère par un programme de renforcement des capacités au travers des champs-écoles paysans. Les formations portent bien entendu, entre autres choses, sur les techniques de production innovantes, mais aussi sur l’approche égalité femme-homme : l’objectif est que les femmes puissent mieux connaître leurs droits et la législation sénégalaise, mais aussi que les hommes prennent conscience de ces droits et deviennent des alliés dans cette lutte. Ce qu’il faut comprendre à ce niveau est que cette discrimination à l’égard des femmes n’est pas du seul ressort des hommes, mais bien de nos sociétés, qui sont patriarcales. Mais, comme on le dit, si les hommes font partie du problème, ils doivent aussi faire partie de la solution.

Les femmes doivent aussi comprendre qu’elles ont le droit de demander des terres et non se fier seulement à l’héritage ou à l’emprunt. Si une femme veut obtenir des terres, alors qu’elle ne connait pas les procédures à suivre, ça pose un problème.
A ce titre, le projet renforce leur leadership afin qu’elles puissent se positionner au niveau des instances de décision, là où les décisions stratégiques sont prises, elles sont orientées à devenir des entrepreneures et à se positionner dans tous les maillons de la chaîne de valeur agricole. Elles doivent avoir la possibilité de dire non à certaines politiques, de donner leurs opinions.  Qu’on ne décide plus à leur place, qu’on les écoute.

Parallèlement, de grands aménagements allant de 5 à 7 hectares sont prévus pour les groupements d’intérêt économiques (GIE) bénéficiaires du projet, composés de 60% de femmes, 20% de jeunes et 20% d’hommes. Dans ces aménagements, les GIE sont appuyés en équipements agricoles, comme les systèmes d’irrigation innovants.
Nous croyons à la force et au leadership des femmes à mieux participer au développement de leur région. Elles veulent et elles peuvent se positionner au sein des chaînes de valeur des cultures irriguées ciblées par le projet.  Tout d’abord pour pouvoir subvenir aux besoins de leur famille, mais aussi, grâce aux surplus obtenus, pour répondre à la demande existante du marché, générer des revenus et atteindre une autonomisation économique.

L’objectif de tout ce travail est que les femmes puissent prendre leur place dans l’agriculture de demain qui devient plus exigeante en termes de connaissances et d’accompagnement à cause des changements climatiques.

Que représente pour vous cette journée internationale des femmes rurales ?

C’est une journée très importante pour valoriser la détermination de la femme rurale et de toutes les femmes. Au-delà de la célébration, c’est un moment pour s’arrêter et regarder le vécu de milliers de femmes vivant dans le monde rural :  faire un bilan des politiques annoncées et des mesures mises en place.

C’est pour cela qu’avec un des partenaires du projet, le Comité consultatif des femmes de Tambacounda, nous allons organiser une campagne de sensibilisation et de plaidoyer à l’accès des femmes aux ressources productives. Nous allons interpeller, informer et sensibiliser les autorités étatiques, religieuses et coutumières sur les difficultés des femmes à obtenir les terres, les intrants, le financement nécessaires pour produire dignement.
On veut attirer leur attention sur le fait que les changements climatiques obligent à repenser tous les programmes agricoles, et leur suggérer que quand ils mettent en place des programmes, pour octroyer des équipements ou distribuer des intrants par exemple, il faut qu’il y ait des quotas pour les femmes. Il faut mettre en place une discrimination positive en faveur des productrices.

Enfin, cette journée est aussi l’occasion de saluer l’engagement de celles et ceux qui se battent pour une meilleure reconnaissance et une meilleure valorisation du travail invisible des femmes productrices, qui constituent une main d’œuvre agricole importante.

Pandémie oblige, le projet n’a pu réellement prendre son envol qu’au début de l’année 2021. Voyez-vous quand même se dessiner certains résultats ?

Absolument ! Nous avons commencé par redynamiser les organisations de productrices et de producteurs par des formations en développement organisationnel, les femmes sont désormais mieux outillées pour comprendre et utiliser les approches et les stratégies du projet pour l’atteinte des résultats. Afin de créer une synergie d’expertises et maximiser nos résultats, nous travaillons d’ailleurs avec plusieurs partenaires dans les domaines de l’environnement, de l’égalité femme-homme, de l’agriculture intelligente ou encore de la gestion des ressources en eau.

Et oui des résultats se dessinent... À la suite des premières campagnes de sensibilisation, les autorités locales ont octroyé 24 hectares de terres à des groupements de femmes. Par ailleurs, des leaders commencent à émerger et à s’exprimer. Il arrive maintenant que quand des femmes se voient offrir 1 hectare, elles refusent et réclament des superficies plus structurantes pour pouvoir produire et répondre à la demande du marché. Elles comprennent que personne ne va réclamer leurs droits à leur place.

Nous savons que nous devons persévérer encore, des blocages et des barrières sont là. Tout cela n’est pas facile, on est dans une zone où le patriarcat domine. Et comme ce sont des approches nouvelles, il y a beaucoup d’amalgames, beaucoup d’interprétations quand on parle d’égalité femme-homme et de masculinité positive.
Alors on essaie toujours de contextualiser, communiquer, informer, écouter les autres aussi. Expliquer. On est dans cette phase-là, et au fur et à mesure, les gens comprennent qu’au fond c’est vraiment le pouvoir économique des femmes que l’on cherche à promouvoir dans ce projet, pour le bien-être de toute une communauté.

Une fois le projet terminé, à quoi mesurerez-vous son succès ?

Ce qui va me permettre de dire qu’on a fait une différence, c’est quand je verrai des femmes productrices dans des instances de décision. Quand elles demanderont le respect de leurs droits et ne laisseront plus les autres parler à leur place. Quand je les verrai bien positionnées au niveau des chaines de valeur des filières que nous avons ciblées, comme commerçantes grossistes par exemple et pas seulement comme simples détaillantes. Quand je les verrai négocier des contrats sur les marchés. Quand je les entendrai demander d’être mieux intégrées dans l’élaboration des politiques agricoles.

Est-ce que je suis optimiste ? Bien sûr ! Il suffit de se rappeler des plaidoyers qu’il y avait dans les années 2000 pour l’éducation des jeunes filles. Beaucoup n’y croyaient pas, surtout dans ma zone ici à Kolda. Pourtant aujourd’hui il y a beaucoup plus de filles dans les écoles de nos villages. Avant, peu de filles parvenaient jusqu’au lycée ou à l’université. Aujourd’hui les filles vont chercher des masters à l’université au même titre que les garçons.
Pourquoi ? Parce qu’à un certain moment, il y a eu des gens qui y ont cru ! Et qui se sont dit qu’en sensibilisant, en informant, en parlant aux autorités, en changeant les programmes et les politiques, on agit sur les défis du développement. Ce n’est pas de l’utopie. Ce n’est pas le premier combat que les femmes ont mené. Et je sais que celui-là aussi, elles vont le gagner.

Le projet Femmes et Agriculture Résilientes (FAR) est mis en œuvre par le CECI en consortium avec SOCODEVI et avec la collaboration d’OURANOS, et bénéficie de l’appui financier du gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada (AMC).

 

Ingénieure des travaux agricoles, Dado Baldé, 49 ans, a rejoint le CECI en 2017. D’abord recrutée pour un poste de volontaire à Dakar, elle vit désormais dans la ville de Kolda, d’où elle dirige le projet Femmes et agriculture résilientes (FAR), qui offre un appui aux femmes et aux jeunes productrices du sud et sud-ouest du Sénégal, dont les conditions de vie sont mises à mal par les impacts des changements climatiques.

À l’occasion de la journée internationale des femmes rurales, célébrée le 15 octobre, Dado Baldé nous offre une incursion dans la réalité de ces femmes de Casamance dont elle salue la force et la détermination. Elle nous parle également des enjeux de ce projet quinquennal qui vise à faire de celles qui sont aujourd’hui les premières victimes des impacts du dérèglement climatique, des actrices incontournables pour les changements durables de demain.

Vous êtes née et avez grandi à Dakar, la capitale du Sénégal. Comment une citadine comme vous a-t-elle décidé de consacrer sa vie à l’agriculture ?

Mon père et ma mère sont originaires de la région de Kolda. C’est ici, dans leur région natale, en Casamance, dans le sud du Sénégal, qu’on venait passer les vacances. On y revenait tout le temps, et c’est dans ces moments-là que je me suis intéressée à l’agriculture et que j’ai compris, en vivant parmi ces communautés, ce qu’était la vie de ces femmes rurales.

Pendant les vacances, il était rare que je puisse passer une journée avec ma grand-mère. Elle partait tôt le matin, elle revenait tard le soir ; à l’image des autres femmes, elle s’activait à la production rizicole et aux cultures de plateau, comme l’arachide et le maïs. Et, en contre saison, elle cultivait et commercialisait des légumes. Ma grand-mère nous racontait que c’est en vendant les légumes du jardin, qu’elle cultivait pendant la saison sèche, qu’elle avait pu payer la scolarité de ma mère et de mes oncles. Avec des moyens rudimentaires de production, les femmes productrices ont participé à la valorisation de l’agriculture dans les régions de Kolda, Tambacounda et Sédhiou.

Donc j’ai aimé l’agriculture en observant l’engagement et la détermination des femmes qui réussissaient à subvenir aux besoins de leur famille. Et en voyant la fierté que ces femmes et ces hommes ressentaient ! Que peut-il y avoir de plus valorisant que d’être paysan, que de travailler pour faire vivre et nourrir sa famille et toute une communauté? Quand mon père m’a demandé ce que je voulais faire après le lycée, je n’ai pas hésité. C’était l’agriculture et rien d’autre !

Vous travaillez d’abord comme animatrice dans le programme de gestion de ressources naturelles et de substitution, puis œuvrez comme agente de développement pour des programmes de sécurité alimentaire à World vision. Pendant près d’une décennie, vous intervenez donc dans différentes communautés de cette région du sud du Sénégal, considérée comme le grenier agricole du pays, et côtoyez longuement les femmes casamançaises que vous apprenez à mieux connaitre. Qu’est-ce qui, selon vous, les décrit le mieux ?

Leur bravoure et leur abnégation !  Elles participent énormément au développement économique de leur village. Elles sont très présentes au sein des ménages, elles s’occupent des travaux domestiques, de l’éducation des enfants, des soins primaires et elles sont fortement impliquée à la cohésion sociale. Elles sont partout !

Mais, contrairement à la génération précédente, les productrices actuelles, et de manière générale les femmes du monde rural, sont plus vulnérables aux effets des changements climatiques. Leurs systèmes de production se fragilisent et elles ne sont pas préparées à y faire face.

Grâce à une bourse d’étude de la Fondation Ford, vous avez eu l’opportunité de faire votre    master en études internationales à l’Université Laval, à Québec. Vous êtes ensuite revenue en Afrique, d’abord au Burkina Faso, puis au Sénégal comme volontaire avec le CECI. A quel moment avez-vous pris conscience de la réalité des impacts des changements climatiques dans cette région ?

Je ne peux pas dire exactement quand les impacts ont commencé à se faire sentir, mais c’est certain que depuis mon retour, dans les 5 dernières années, j’ai noté des changements énormes par rapport au début des années 2000, surtout si l’on regarde au niveau de la pluviométrie.
Il y a 20 ans, la saison des pluies débutait au début du mois de mai. Actuellement, pour avoir une bonne pluviométrie, il faut aller au mois de juillet. Et les conséquences au niveau de la sécurité alimentaire sont énormes.

Prenons l’exemple du maïs : on pouvait le semer au mois de mai, avoir des premières récoltes en août, et cela permettait aux familles d’avoir de la nourriture et de faire face à la période de soudure. On pouvait semer à nouveau en août, pour une autre récolte en octobre. La pluviométrie permettait de semer autant de fois qu’on le pouvait et les greniers où l’on gardait les récoltes de riz, de maïs, d’arachides permettaient de subvenir aux besoins alimentaires des ménages pour toute une année. Avec le stock de riz de ma grand-mère, on pouvait manger jusqu’à la saison des pluies suivante.

Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Cette année, avec une pluviométrie instable, ça va être très dur pour les ménages de nourrir leur famille plus de 4 ou 5 mois. Les greniers ne se remplissent plus. D’ailleurs le mot même de « grenier » est en train de disparaitre…

En quoi est-ce que les femmes sont plus vulnérables que les hommes face aux impacts de ces changements climatiques ?

Aujourd’hui, avec les conditions climatiques que l’on connait, l’agriculture traditionnelle ne permet plus d’assurer la sécurité alimentaire pour toute une famille et toute une année. Cette agriculture de subsistance demande à être adaptée et modernisée.

Or, les femmes dépendent des ressources naturelles locales pour assurer leurs moyens de subsistance et ceux de leurs familles, en particulier dans les régions rurales où elles portent le fardeau des responsabilités familiales comme l'approvisionnement en eau, la collecte de combustibles pour la cuisson des aliments et le chauffage, ainsi que la sécurité alimentaire.

Par ailleurs, contrairement aux hommes, les femmes ont difficilement accès aux formations techniques, à l’information et aux ressources productives (terre, eau, matériel et équipement agricoles, intrants, etc.) et cela perpétue les inégalités économiques et sociales.

Le projet Femmes et agriculture résilientes (FAR) vise non seulement à renforcer la sécurité alimentaire des productrices mais aussi à accroitre leur autonomisation socio-économique en leur permettant d’accéder plus massivement à l’agriculture irriguée. Le plaidoyer pour l’accès aux ressources productives, aux équipements et à la terre des femmes rurales est justement au cœur du projet. Pouvez-vous nous en parler ?

Le droit des femmes rurales à l’accès aux ressources productives constitue un enjeu central dans notre zone. Les femmes et les jeunes représentent près de 70% de la main d’œuvre agricole au Sénégal. Si cette main d’œuvre-là n’a pas accès aux ressources productives, on ne pourra jamais parler de sécurité alimentaire, ni de l’amélioration des conditions économiques des communautés. Et les femmes ne pourront jamais faire face aux impacts des changements climatiques.
Aujourd’hui, on l’a dit, avec la diminution de la pluviométrie, sans parler de la hausse des températures, on ne peut plus se cantonner aux cultures pluviales, il faut développer les cultures irriguées, accompagner techniquement les femmes à se positionner au sein des chaînes de valeur des cultures irriguées afin qu’elles puissent capter les richesses issues de la production et de la commercialisation.

Donc ce que l’on dit aux autorités étatiques et coutumières, aux chefs religieux, aux chefs de village, aux maires, aux décideurs, c’est : il faut revoir les systèmes de financement ! Ne nous cantonnez plus dans des micro-crédits, des micro-prêts, des micro-jardins. Donner-nous la possibilité d’accéder aux ressources productives. Si j’ai besoin de 1000 $ pour acheter une motopompe pour irriguer mon jardin, ne me donnez pas juste 500$ parce que je suis une femme ! Si j’ai besoin de clôturer mon jardin, installer un système d’irrigation performant au même titre qu’un homme, accordez-moi des investissements conséquents !
Et donnez-moi des terres sécurisées avec un titre foncier qui va me permettre de garantir ces prêts et ces investissements, et qui va aussi permettre de pérenniser mes activités. Parce que le droit foncier traditionnel permet à la femme d’utiliser une terre sans que celle-ci lui appartienne. Or le propriétaire peut venir du jour au lendemain lui réclamer la parcelle qu’elle a valorisée et elle va perdre tous les investissements qui ont été consentis. Donc oui il faut aller vers cette agriculture irriguée, mais il y a des préalables. L’accès au financement, le contrôle et la propriété de la terre sont des éléments centraux de notre plaidoyer.

Au-delà de ce plaidoyer, central et essentiel, comment concrètement le projet FAR accompagne-t-il les femmes productrices dans cette transition nécessaire vers une agriculture irriguée ?

Le projet accompagne les productrices et producteurs des filières banane, riz et production maraîchère par un programme de renforcement des capacités au travers des champs-écoles paysans. Les formations portent bien entendu, entre autres choses, sur les techniques de production innovantes, mais aussi sur l’approche égalité femme-homme : l’objectif est que les femmes puissent mieux connaître leurs droits et la législation sénégalaise, mais aussi que les hommes prennent conscience de ces droits et deviennent des alliés dans cette lutte. Ce qu’il faut comprendre à ce niveau est que cette discrimination à l’égard des femmes n’est pas du seul ressort des hommes, mais bien de nos sociétés, qui sont patriarcales. Mais, comme on le dit, si les hommes font partie du problème, ils doivent aussi faire partie de la solution.

Les femmes doivent aussi comprendre qu’elles ont le droit de demander des terres et non se fier seulement à l’héritage ou à l’emprunt. Si une femme veut obtenir des terres, alors qu’elle ne connait pas les procédures à suivre, ça pose un problème.
A ce titre, le projet renforce leur leadership afin qu’elles puissent se positionner au niveau des instances de décision, là où les décisions stratégiques sont prises, elles sont orientées à devenir des entrepreneures et à se positionner dans tous les maillons de la chaîne de valeur agricole. Elles doivent avoir la possibilité de dire non à certaines politiques, de donner leurs opinions.  Qu’on ne décide plus à leur place, qu’on les écoute.

Parallèlement, de grands aménagements allant de 5 à 7 hectares sont prévus pour les groupements d’intérêt économiques (GIE) bénéficiaires du projet, composés de 60% de femmes, 20% de jeunes et 20% d’hommes. Dans ces aménagements, les GIE sont appuyés en équipements agricoles, comme les systèmes d’irrigation innovants.
Nous croyons à la force et au leadership des femmes à mieux participer au développement de leur région. Elles veulent et elles peuvent se positionner au sein des chaînes de valeur des cultures irriguées ciblées par le projet.  Tout d’abord pour pouvoir subvenir aux besoins de leur famille, mais aussi, grâce aux surplus obtenus, pour répondre à la demande existante du marché, générer des revenus et atteindre une autonomisation économique.

L’objectif de tout ce travail est que les femmes puissent prendre leur place dans l’agriculture de demain qui devient plus exigeante en termes de connaissances et d’accompagnement à cause des changements climatiques.

Que représente pour vous cette journée internationale des femmes rurales ?

C’est une journée très importante pour valoriser la détermination de la femme rurale et de toutes les femmes. Au-delà de la célébration, c’est un moment pour s’arrêter et regarder le vécu de milliers de femmes vivant dans le monde rural :  faire un bilan des politiques annoncées et des mesures mises en place.

C’est pour cela qu’avec un des partenaires du projet, le Comité consultatif des femmes de Tambacounda, nous allons organiser une campagne de sensibilisation et de plaidoyer à l’accès des femmes aux ressources productives. Nous allons interpeller, informer et sensibiliser les autorités étatiques, religieuses et coutumières sur les difficultés des femmes à obtenir les terres, les intrants, le financement nécessaires pour produire dignement.
On veut attirer leur attention sur le fait que les changements climatiques obligent à repenser tous les programmes agricoles, et leur suggérer que quand ils mettent en place des programmes, pour octroyer des équipements ou distribuer des intrants par exemple, il faut qu’il y ait des quotas pour les femmes. Il faut mettre en place une discrimination positive en faveur des productrices.

Enfin, cette journée est aussi l’occasion de saluer l’engagement de celles et ceux qui se battent pour une meilleure reconnaissance et une meilleure valorisation du travail invisible des femmes productrices, qui constituent une main d’œuvre agricole importante.

Pandémie oblige, le projet n’a pu réellement prendre son envol qu’au début de l’année 2021. Voyez-vous quand même se dessiner certains résultats ?

Absolument ! Nous avons commencé par redynamiser les organisations de productrices et de producteurs par des formations en développement organisationnel, les femmes sont désormais mieux outillées pour comprendre et utiliser les approches et les stratégies du projet pour l’atteinte des résultats. Afin de créer une synergie d’expertises et maximiser nos résultats, nous travaillons d’ailleurs avec plusieurs partenaires dans les domaines de l’environnement, de l’égalité femme-homme, de l’agriculture intelligente ou encore de la gestion des ressources en eau.

Et oui des résultats se dessinent... À la suite des premières campagnes de sensibilisation, les autorités locales ont octroyé 24 hectares de terres à des groupements de femmes. Par ailleurs, des leaders commencent à émerger et à s’exprimer. Il arrive maintenant que quand des femmes se voient offrir 1 hectare, elles refusent et réclament des superficies plus structurantes pour pouvoir produire et répondre à la demande du marché. Elles comprennent que personne ne va réclamer leurs droits à leur place.

Nous savons que nous devons persévérer encore, des blocages et des barrières sont là. Tout cela n’est pas facile, on est dans une zone où le patriarcat domine. Et comme ce sont des approches nouvelles, il y a beaucoup d’amalgames, beaucoup d’interprétations quand on parle d’égalité femme-homme et de masculinité positive.
Alors on essaie toujours de contextualiser, communiquer, informer, écouter les autres aussi. Expliquer. On est dans cette phase-là, et au fur et à mesure, les gens comprennent qu’au fond c’est vraiment le pouvoir économique des femmes que l’on cherche à promouvoir dans ce projet, pour le bien-être de toute une communauté.

Une fois le projet terminé, à quoi mesurerez-vous son succès ?

Ce qui va me permettre de dire qu’on a fait une différence, c’est quand je verrai des femmes productrices dans des instances de décision. Quand elles demanderont le respect de leurs droits et ne laisseront plus les autres parler à leur place. Quand je les verrai bien positionnées au niveau des chaines de valeur des filières que nous avons ciblées, comme commerçantes grossistes par exemple et pas seulement comme simples détaillantes. Quand je les verrai négocier des contrats sur les marchés. Quand je les entendrai demander d’être mieux intégrées dans l’élaboration des politiques agricoles.

Est-ce que je suis optimiste ? Bien sûr ! Il suffit de se rappeler des plaidoyers qu’il y avait dans les années 2000 pour l’éducation des jeunes filles. Beaucoup n’y croyaient pas, surtout dans ma zone ici à Kolda. Pourtant aujourd’hui il y a beaucoup plus de filles dans les écoles de nos villages. Avant, peu de filles parvenaient jusqu’au lycée ou à l’université. Aujourd’hui les filles vont chercher des masters à l’université au même titre que les garçons.
Pourquoi ? Parce qu’à un certain moment, il y a eu des gens qui y ont cru ! Et qui se sont dit qu’en sensibilisant, en informant, en parlant aux autorités, en changeant les programmes et les politiques, on agit sur les défis du développement. Ce n’est pas de l’utopie. Ce n’est pas le premier combat que les femmes ont mené. Et je sais que celui-là aussi, elles vont le gagner.

Le projet Femmes et Agriculture Résilientes (FAR) est mis en œuvre par le CECI en consortium avec SOCODEVI et avec la collaboration d’OURANOS, et bénéficie de l’appui financier du gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada (AMC).

 

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