Nouvelle
Quelques mois après l’adoption par les Nations-Unies des Objectifs de Développement Durable, le CECI et l’EUMC ont invité les acteurs et actrices du Forum International à mener une réflexion sur la notion de l’autonomisation économique des femmes. Alimenté par le parcours inspirant de trois leaders venues partager leur vision, l’échange a porté sur les voies à explorer pour une plus grande inclusion des femmes dans l’économie.
Certes, les rapports abondent désormais en ce sens : l’intégration des femmes à l’économie a des retombées considérables sur la vitalité économique de l’ensemble du pays. Nombreuses sont les instances internationales à souligner la forte corrélation entre l’égalité des sexes, le niveau du PIB du pays et sa compétitivité. Mais ces études, si elles ont le mérite d’exister, sont encore trop largement méconnues. Or, aborder la problématique de l’égalité des sexes d’un point de vue économique, plutôt que de les envisager seulement sous un aspect moral ou social, pourrait être aujourd’hui la stratégie à privilégier. Astrid Pregel, directrice générale de WEConnect International Canada, en est persuadée et croit qu’il est essentiel de faire connaitre ces secrets trop bien gardés. Il est vrai que les chiffres donnent le vertige. « Si les femmes jouaient un rôle identique aux hommes sur le marché du travail, le PIB global annuel augmenterait de 28 trillions de dollars d’ici 2025! » s’est enthousiasmée l’ancienne diplomate canadienne en se référant à une étude de l’Institut McKinsey publiée en septembre 2015.
Mais encore faut-il que les femmes elles-mêmes se sentent légitimes dans leurs aspirations. Encore faut-il, fait remarquer la camerounaise Amina Gerba, qu’elles aient conscience de la situation d’inégalité dans laquelle elles se trouvent. Or, « comment une femme non éduquée peut-elle défendre ses intérêts? Elle ne sait pas qu’elle est lésée ! ». La présidente d’Afrique Expansion est convaincue qu’une plus grande inclusion des femmes dans l’économie passe d’abord par l’éducation. Au travers des entreprises qu’elle a fondées depuis son arrivée au Canada voilà 30 ans, et qui soutiennent notamment les productrices de karité, elle s’est donnée pour mission de promouvoir la scolarisation et l’éducation des femmes en Afrique. « Dans le monde, 493 millions d’entre elles sont analphabètes » a déploré la femme d’affaires, seule enfant d’une famille de 19 à avoir été scolarisée.
C’est que l’enjeu est immense. L’Haïtienne Danielle Saint-Lôt a rappelé que selon la Banque Mondiale, les femmes réinvestissent en moyenne 90% de leurs ressources dans l’alimentation, l’éducation et les soins de santé (contre moins de 40% pour les hommes). Pour l’ancienne ministre du commerce de l’industrie et du tourisme d’Haïti, l’autonomisation économique des femmes, formidable levier dans la lutte contre la pauvreté, constitue « le choix économique intelligent » par excellence.
Elle estime qu’à Haïti la première étape vers cette autonomisation passe par la mise en valeur de la plus grande ressource inexploitée du pays: les femmes entrepreneures, dirigeantes de PME. « Il faut identifier les battantes et les aider à réussir. C’est par elles que nous développerons notre classe moyenne et attirerons les investisseurs », martèle la cofondatrice et présidente de l’ONG Femmes en Démocratie qui rappelle qu’une présence accrue de femmes est gage d’une diminution de la corruption. Il faut formaliser l’apport des femmes à l’économie, développer les approches filières, particulièrement en agriculture. Surtout, poursuit Danielle Saint-Lôt, il faut changer la nature des relations de pouvoir à la base. Capitalisons sur l’expérience du CECI. Il faut organiser ces femmes en coopératives d’agricultrices dans des filières porteuses d’où elles pourront négocier, prendre des décisions, générer des revenus, et de cette façon susciter la reconnaissance de la communauté et des autorités publiques».
Consciente de l’immensité de la tâche, l’ambassadrice itinérante d’Haïti pour l’émancipation des femmes a pourtant trouvé des raisons de se réjouir. L’obligation, toute récente, d’élire au moins une femme dans chaque Conseil Communal de trois membres et dans chaque conseil d’administration de section communale constitue un «acquis majeur». «Avoir une gouvernance locale au féminin va changer la face d’Haïti. Ces leaders seront capables d’imposer les femmes, et d’ici 10 ans, nous serons une masse critique s’est réjouie Danielle Saint-Lôt. Mais d’ici-là cessons de kidnapper la question du droit des femmes! a-t-elle supplié. Eduquons nos fils!».
Texte: Carole Duffréchou