Nouvelle
Au cours des ateliers portant sur l’autonomisation économique des femmes, les acteurs du Forum International se sont questionnés sur les approches à privilégier pour maximiser les chances de réussite de leurs interventions. Au travers de la présentation de différents projets de renforcement des capacités, ils ont cherché à identifier certaines des conditions gagnantes assurant la durabilité et le succès d’un projet.
Janvier 2010. Haïti est ravagé par un tremblement de terre. De nombreuses femmes perdent leurs micro-entreprises, détruites ou pillées, et par là-même leur seul moyen de subsistance. Le CECI, qui depuis longtemps travaille avec des organisations locales haïtiennes, décide de répondre à cette situation d’urgence en privilégiant des actions s’inscrivant dans la durée. L’organisme choisit de s’adresser aux plus vulnérables de ces femmes, par le biais des autorités locales et des associations de terrain. L’idée: les recapitaliser et leur donner la possibilité de redémarrer une activité commerciale leur permettant de devenir autosuffisantes et de subvenir aux besoins de leurs proches. Plus de 6500 femmes vont bénéficier du programme. « Six ans plus tard, ces femmes sont toujours là avec leur commerce a témoigné Marie-Ange Noël de l’organisme Fanm Deside qui a identifié et sélectionné les bénéficiaires de ce programme d’aide et les a encadré durant le processus. C’est un vrai succès ! Avec les bénéfices générés, elles ont payé leurs crédits, elles envoient leurs enfants à l’école, font de l’économie à travers des mutuelles de solidarité qu’elles ont elles-mêmes créées». Odette McCarthy, directrice du programme Uniterra du CECI, estime que «la connaissance du terrain dont disposent les partenaires locaux qui jouissent d’une très bonne réputation dans la communauté, et l’accompagnement de ces femmes tout au long de leur démarche ont été des facteurs clés de la réussite». Selon Marie-Ange Noël, l’organisation de ces femmes entre elles (réunions bimensuelles, mutuelles de solidarité, etc.) a également joué un rôle déterminant.
Surtout, s’est félicitée la directrice exécutive de Fanm Deside qui entend promouvoir l’égalité entre les sexes, le renforcement de leur pouvoir économique a fait faire à ces femmes un pas significatif dans la lutte contre les violences dont elles font l’objet au quotidien. En développant leurs compétences et leur confiance en elle, en accédant plus largement aux ressources économiques, elles ont conforté leur légitimité et consolidé leur place dans la société. Mais l’environnement leur demeure très largement défavorable a déploré Marie-Ange Noël qui estime qu’une plus grande inclusion économique ne peut tout résoudre: l’implication des hommes, qu’il faut sensibiliser et éduquer à de nouveaux comportements et réflexes, est nécessaire. Ce travail de fond, les haïtiennes de Fanm Deside l’ont entamé il y a plusieurs années. «Mais changer la mentalité dans un système patriarcal prend du temps. Il faut y aller doucement» soupire Marie-Ange Noël. «Il ne sert à rien de susciter des affrontements, sinon à créer des résistances renchérit le professeur Gilles Tremblay, responsable de l’équipe Masculinités et Société à l’école de service social de l’Université Laval. Il faut comprendre que les hommes doivent aussi composer avec leur identité, et leurs stéréotypes. Il faut miser sur les avantages que les hommes eux-mêmes vont retirer d’une situation d’égalité. En devenant des partenaires, en partageant les responsabilités, ils réintègrent une partie d’eux-mêmes, en se découvrant père par exemple».
En attendant, hors l’affrontement, les solutions existent comme l’atteste le cas des femmes indiennes formées pour devenir chauffeurs de taxi à New Delhi – et désormais dans trois autres villes du pays. Créé en 2008, le programme Women On Wheels entend rendre ces femmes, issues des couches les plus marginalisées de la société, économiquement autonomes. Il leur offre pendant 8 à 10 mois des cours aux contenus variés: conduite, bien entendu, mais aussi anglais, autodéfense, droits des femmes … avant de les intégrer dans la compagnie de taxis spécialement créée pour elles. Et c’est bien là que réside l’une des clés du succès: face à l’hostilité des chauffeurs de taxi et des conducteurs masculins en général, il a fallu créer un environnement accueillant en se dotant d’une compagnie de taxi propre - qui a très vite rencontré le succès auprès d’une clientèle féminine locale et de voyageuses solitaires. « Il faut oser investir des espaces non traditionnels ! a insisté la chercheuse Bipasha Baruah, professeur à l’Université Western en Ontario. Séduits, certains participants du Forum International ont admis que «pour avoir la patience de valoriser des expériences comme celle-ci», un changement de mentalité serait nécessaire dans bien des ONG.
Texte: Carole Duffréchou