Une question de culture

Publié par : Daphné Levasseur
Les différences culturelles se retrouvent dans mille et unes choses du quotidien. Elles sont souvent en toute subtilité, mais plus les jours s’enchaînent, plus elles deviennent flagrantes. Une simple question peut en dire long sur l’intention, les idées, les us et coutumes de la personne qui les pose. Voici donc un recensement (non scientifique, je vous rassure) qui m’ont fait découvrir ces petites et grandes disparités qui peuvent exister entre le Pérou et le Canada. Es-tu catholique ou athée ? Apparemment il n’y a que deux options ici, tout ou rien. Je trouve ça attendrissant d’une certaine façon ; à quel point la religion catholique est bien ancrée et pieusement pratiquée dans la société péruvienne qu’il s’agit d’une question tout à fait évidente à poser tout bonnement aux gens. La place de la religion qui a été, soyons honnête, largement effacée dans la société québécoise est bien vivante ici, autant chez les jeunes que les aînés. Je me revois à ma deuxième journée de travail, au déjeuner d’équipe, encore complètement épuisée des déplacements, me faire demander devant tout le monde si j’étais catholique ou chrétienne (Quoi ? Y’a une différence ? Je savais pas moi ! Allez pense vite Daphné !!). Etes-vous mariés ? J’habite avec un autre volontaire Uniterra. Nous sommes un homme et une femme qui habitent ensemble, ce qui en bon canadien, signifie simplement que nous sommes colocs. Ça faisait du sens pour nous d’habiter ensemble, question de se simplifier la vie et de réduire les coûts d’hébergement. Ce qui pour nous apparaît une évidence est une source d’incrédulité et de curiosité pour plusieurs péruviens. En fait, les questions sont souvent posées dans l’ordre suivant :
  • vous venez d’où ?
  • vous faites quoi ici à Piura ?
  • Etes-vous mariés ?
Les relations homme-femme ne sont clairement pas de la même nature ici, même amicalement (deux amis de sexe opposé ? il doit bien y avoir anguille sous roche…). Et le concept de collocation n’existe pas non plus. Soit tu vis chez tes parents, sois avec ton conjoint ou parfois seul aussi. Ah oui !?! Tu vas là-bas toute seule ? Certaines régions du Pérou sont très touristiques, mais comme j’expliquais dans mon premier billet, Piura ne fait pas partie de celles-ci. Donc les gens ne sont pas habitués de rencontrer des femmes qui voyagent seules. Alors avec ma gueule d’étrangère, de raconter aux gens que je pars à quelque part avec ma propre personne comme seule compagnie génère autant de surprise que d’inquiétude. Je me retrouve donc à justifier mes actions, expliquer au serveur de l’hôtel de Los Órganos, que oui, je suis bel et bien venue toute seule ici, simplement parce que j’en avait envie (vous auriez dû lui voir les yeux ronds… et pour le weekend en entier, j’étais « l’énergumène féminin solitaire »). Ça doit bien faire 10 ans que je parcours la planète, très souvent par moi-même, et j’adore ça. Autant que ça m’ouvre à faire des tonnes de rencontres que ça me permet de vivre mes précieux moments de solitude heureuse. Mais ce n’est pas l’adage de la péruvienne moyenne. Protégée des méchants à l’extérieur d’abord par leur famille, ensuite par leur conjoint, cette forme d’indépendance est une rareté dans la région piurana. Ça ne se fait juste pas, probablement à cause du mythe du danger imminent à chaque coin de rue, peut-être un peu par simple manque d’intérêt de faire quelque chose par soi-même. J’ai ici par contre une opportunité en or. Quand on me pose cette question, ça me donne l’opportunité d’expliquer mes motivations et d’indirectement montrer aux gens que c’est tout à fait possible et acceptable d’être indépendante une fois de temps en temps. Une partie de moi ose espérer que ça pousse certaines personnes, hommes comme femmes, à se poser des questions sur les barrières à la liberté bien instaurées aux péruviennes depuis leur tendre enfance. T’as pas un billet plus petit ? Il y a un certain non sens entre le fait que les guichets automatiques distribuent majoritairement des billets de 100 soles (environ 40$CA) mais qu’à part dans les grandes épiceries, personne ne semble avoir de monnaie. Je sors un billet de 100 soles pour payer mon hamburger
  • Ohhhhh, non mais tu n’as pas plus petit ? me répond le caissier, d’un ton qui exprime un mélange de désespoir et d’un tu me prends pour qui !
J’ai toujours un plan B au cas où, surtout pour les petits commerces. Mais à la gare d’autobus où je voulais acheter mon billet de retour, me faire refuser la vente par manque de change, « s’cuse moi ma grande mais y va falloir que t’aille te chercher du change pis que tu reviennes plus tard », ça m’a soudainement rappelé la rigueur qui m’est confortable au Canada. Cette rigueur qui l’espace d’un moment m’a cruellement manqué. Que les commerces n’anticipent pas avoir du change et qu’en bout de ligne ils s’en foutent pas mal, c’est l’image de la légère désorganisation et de la désinvolture qui règne au quotidien. En bon québécois, de mon point de vue nordique, tout est un peu broche à foin… du moins beaucoup de chose. Mais c’est comme ça que les choses fonctionnent ici, et il y a une acceptation implicite de ce désordre fonctionnel. La réponse d’un péruvien à une situation un peu aberrante ? Pues eso es el Perú !   Toutes ces différences culturelles sont belles à leur façon. Une petite question devient le miroir des mentalités et habitudes acquises, et en même temps peut nous faire prendre conscience de ses propres valeurs. Je la trouve belle leur dévotion, je trouve leur formalité sur les relations homme-femme attendrissante. Leur incrédulité face à mon indépendance me fait réaliser à quel point j’y tient et leur désorganisation me fait constamment travailler la patience et la tolérance. Ces différences sont riches en leçons. Elles font inévitablement grandir. Elles sont le bien le plus précieux de la vie à l’étranger.

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