
Histoire de réussites
Volontaire à Parakou, au Bénin en accompagnement à la Fédération Nationale des Productrices d'amandes et de beurre de Karité du Bénin (FNPK-Bénin)
du mandat. J'effectue un mandat de 6 mois comme conseillère en marketing commercial.
Quand j’arrive à Parakou, après huit heures de route depuis Cotonou, je suis accueillie par une fédération qui représente bien plus qu’un regroupement professionnel : elle rassemble plus de 70 000 productrices d’amandes et de beurre de karité, réparties dans cinq départements du Bénin. Dès les premières heures, je sens à quel point cette organisation repose sur la force collective des femmes, leur solidarité, leur expertise, et une volonté remarquable de faire progresser une filière essentielle à leurs revenus et à leur autonomie.

La présidente, Mme Mamadou Djafou, m’accueille avec une chaleur que je n’oublierai jamais. Elle m’introduit dans son quotidien avec simplicité : les repas improvisés, les discussions autour d’un plat d’ignam pilé, les réunions tenues malgré la chaleur écrasante ou les coupures d’électricité. Je dois m’adapter rapidement, aux ventilateurs qui cessent subitement, aux journées à plus de 40 degrés, à un environnement de travail ouvert où l’intimité est inexistante. Mais l’accueil, la confiance et l’humour de l’équipe rendent chaque ajustement plus facile. Très vite, je sens que je peux proposer, questionner et contribuer.
C’est dans ce contexte qu’arrive un choc majeur : l’annonce de la coupure d’un financement important provenant de l’United States Agency for International Development (USAID), l’agence gouvernementale des États-Unis responsable de l’aide internationale au développement et de l’assistance humanitaire. Cette décision bouleverse la fédération, qui dépendait en partie de cette contribution pour offrir des formations, appuyer les coopératives et structurer la filière. Professionnellement, c’est un enjeu de taille : comment maintenir la mission, stabiliser l’organisation et continuer d’accompagner des dizaines de milliers de femmes dans un contexte aussi précaire?
Mon mandat prend alors un tournant déterminant. Je comprends que l’essentiel consiste désormais à renforcer l’autonomie stratégique de la fédération. Avec l’équipe, nous lançons un travail complexe : concevoir un plan d’affaires sur cinq ans, un outil susceptible de guider les choix, de structurer les actions, et surtout de soutenir la mobilisation de futurs financements.
Ce travail exige une immersion profonde. Je dois comprendre les réalités distinctes des productrices selon les régions :
Pour y parvenir, j’accompagne la présidente dans plusieurs missions. Certaines coopératives me font même des démonstrations complètes de transformation du karité, uniquement pour que je puisse saisir chaque étape et comprendre les ajustements possibles. Les productrices me montrent comment elles évaluent la cuisson « au son », comment elles organisent le travail collectif, comment elles gèrent les périodes de récolte et de transformation malgré les responsabilités familiales.
Ces moments sont précieux. Ils dévoilent une expertise locale immense, souvent invisible dans les documents officiels, mais essentielle pour bâtir un plan stratégique réaliste et durable. J’apprends plus auprès d’elles, dans ces échanges informels, que dans n’importe quel rapport.
L’un des plus grands défis professionnels est la représentativité. Comment élaborer une stratégie nationale lorsque les réalités sont aussi variées? Je multiplie alors les validations auprès de l’équipe interne, des administratrices, puis auprès des productrices elles-mêmes. Je reformule, je reviens vérifier, j’ajuste. Je veux que chaque recommandation reflète fidèlement leur vision. Le plan d’affaires doit leur appartenir : il doit être un prolongement de leurs ambitions, pas une projection extérieure.
Au fil des mois, un changement profond s’opère. Je vois les administratrices gagner en assurance. Elles prennent davantage la parole, osent poser des questions, débattent entre elles, demandent des précisions. Lors d’un congrès, un moment m’a profondément marquée : Mme Djafou et Awaou, jeune productrice et administratrice, interviennent devant des responsables institutionnels en soulignant que les discussions sur la filière manquent souvent… les femmes elles-mêmes. Leur message est clair : « On parle du karité, donc on doit parler avec celles qui le produisent ». Elles rappellent que dans une conférence de trois jours, elles sont les seules productrices invitées à la tribune. Leur voix porte. Leur leadership se déploie.
Ce moment résume l’impact du mandat : ce n’est pas seulement un plan d’affaires qui se construit, c’est un espace d’expression et de gouvernance féminine qui se consolide.
Pour la fédération, l’impact est multiple :
Pour moi, le mandat a été une transformation à la fois professionnelle et personnelle. J’ai appris à travailler dans l’incertitude, à naviguer dans un système organisationnel fragilisé par des décisions externes, à composer avec des contextes culturels riches et parfois déroutants. Mais surtout, j’ai appris à ralentir. À comprendre que la confiance se construit avec du temps, des gestes simples, des présences répétées. À reconnaître que l’expertise des productrices constitue la pierre angulaire de toute démarche stratégique sérieuse.
Ce mandat m’a rappelé une vérité fondamentale : le changement durable ne se fait pas pour les femmes, mais avec elles. Au Nord Bénin, ce sont les productrices qui ont tracé la voie. Ensemble, nous avons transformé une période d’incertitude en tremplin stratégique et j’ai eu le privilège d'apprendre à leurs côtés, au rythme de leurs histoires, de leurs décisions et de leur leadership.
Merci à nos partenaires financiers, de consortium et de mise en œuvre sans qui ce projet ne pourrait être réalisé. Le programme de coopération volontaire du CECI est réalisé en partenariat avec le gouvernement du Canada.

