Histoire de réussites
Les femmes défenseures des droits humains font partie de l'histoire de la Bolivie depuis le début et ont été à l'avant-garde de toutes les luttes politiques qui ont permis au peuple bolivien de s'émanciper des différentes sources d'oppression. Que ce soit Juana Azurduy de Padilla pendant la guerre d'indépendance, Vicenta Juaristi Eguino pendant la guerre de la Révolution, Ignacia Zeballos pendant la guerre du Pacifique, ou María Barzola pendant le massacre de Catavi, les sacrifices et la persévérance de ces femmes en font les protagonistes de la résistance qui a marqué l'histoire de la Bolivie (Apaza, 2016).
Aujourd’hui, il est pertinent d’étudier la situation des femmes boliviennes défenseures des droits humains afin de comprendre les profondes problématiques qui poussent ces dernières à consacrer leur vie à des luttes génératrices de changements sociaux. De plus, une telle étude est importante afin de mettre en lumière les enjeux, les défis, les obstacles et les risques auxquels ces femmes sont confrontées. Finalement, cette étude permet de saisir les revendications et les besoins de ces femmes afin de pouvoir émettre des recommandations en faveur de leurs intérêts auprès les institutions politiques, des ONG locales et du grand public.
Cette étude est une initiative d’UNITAS, un réseau de 22 ONG boliviennes de développement fondé en 1976 visant à générer des propositions alternatives de développement et de changement social afin de promouvoir la démocratie. Au sein du CECI-Bolivie, j’ai travaillé en partenariat avec UNITAS de septembre à décembre afin de participer à l’élaboration de cette étude.
En adoptant une sensibilité interculturelle, on constate qu’en dépit de leur reconnaissance morale universelle, les droits humains présentent certaines limites en raison de leur caractère relatif. En effet, on y reconnaît que l’établissement des droits humains repose sur un contexte historique conflictuel qui oppose des rapports asymétriques. Cette reconnaissance est nécessaire afin d’avoir une perception nuancée et mieux comprendre les complexités qui entravent le respect des droits humains en Bolivie.
La féminisation de la pauvreté comme phénomène global permet de comprendre les enjeux auxquels font face les femmes défenseures des droits humains en Bolivie. Cette théorie démontre les raisons qui expliquent pourquoi les femmes continuent à avoir un contrôle relativement faible sur les moyens de production comme la terre, l’équipement et l’argent. En effet, «Ces inégalités prennent racine dans un statut juridique bas et dans le faible niveau d’empowerment des femmes. Les sociétés contemporaines, orientées vers la seule croissance économique et vers la marchandisation des rapports, des échanges (et des corps), ignorent les apports essentiels des femmes dans le travail non payé de la subsistance ou du soin. [...] Ces inégalités sont liées à une inégale répartition des tâches et des responsabilités, à la difficile articulation des rôles multiples (reproductif, productif et sociaux), et enfin au non-accès et surtout au non- contrôle des femmes sur les ressources et les bénéfices du développement.» (Ryckmans et Maquestiau, 2008, p.68)
Il est important de comprendre la notion de développement comme étant le fruit d’un processus historique ethnocentrique établi par l’Occident. En effet, dans le contexte d’un manda à l’international, il me paraît essentiel de concevoir le développement comme «un ensemble de représentations contingentes tissées d’ethnocentrisme, de sexisme et de racisme, un discours historiquement construit devenu hégémonique, et, incidemment, aux conséquences désastreuses pour la majorité des populations de la planète.» (Beaulieu et Rousseau, 2011, p.2) De plus, même si des visions alternatives du développement fondées sur la pluralité des modèles et le renforcement des capacités locales ont émergées, les représentations de l’économie héritées des théories néoclassiques dominent encore l’imaginaire collectif des pays du Sud. «Même lorsque d’autres acteurs (tels que les gouvernements de Lula au Brésil ou d’Evo Morales en Bolivie) dont on pourrait penser qu’ils sont porteurs de projets différents, montent en puissance, les modèles de développement dont ils font la promotion sont souvent des hybrides complexes qui n’excluent pas les anciennes rationalités développementalistes.» (Beaulieu et Rousseau, 2011, p.3)
Comme Conseillère en égalité femmes-hommes, mon mandat consistait principalement à aider l’organisation partenaire, UNITAS, à effectuer la systématisation d’entrevues menés auprès de femmes boliviennes défenseures des droits humains. Cette systématisation visait à recueillir les expériences de ces femmes afin de comprendre l’environnement dans lequel elles mènent leurs actions et de mettre en lumière leurs luttes pour favoriser une meilleure reconnaissance de leur contribution à la défense des droits humains. De plus, je devais incorporer l’approche du genre à travers mes recherches afin de rédiger un document qui introduise et mette un contexte l’étude. Ce document porte d’une part sur les femmes défenseures des droits humains au niveau régional, et d’autre part sur les femmes défenseures des droits humains en Bolivie. Ce dernier aborde une variété de sujets comme les législations sur les droits humains, la violence contre les femmes, la discrimination des personnes LGBT, les luttes des femmes afros, l’écoféminisme, les luttes des femmes autochtones en lien avec l’exploitation des terres, la conception du «cuerpo-territorio» face à la domination patriarcale, la conception du «Chacha-warmi» (la dualité femmes-hommes), les dangers auxquels les femmes activistes sont confrontées, l’implication des femmes au sein de la résistance bolivienne, la participation politique des femmes et les droits sexuels et reproductifs. En sommes, mon mandat consistait à participer à l’élaboration d’un rapport concernant la situation des femmes défenseures des droits humains en Bolivie.
Dans le contexte de la réalisation virtuelle du mandat, j’ai appris qu’il est nécessaire de me submerger au maximum dans «l’environnement» de mon travail. C’est-à-dire que pour être pleinement plongée dans le contexte bolivien, j’ai essayé de m’alimenter de plus possible de contenu culturel latino-américain. En effet, j’ai participé à plusieurs conférences et forums concernant des thèmes liés à mon mandat, j’ai essayé d’écouter un maximum de musique latino-américaine et je me suis mise à regarder des séries en espagnol lors de mes temps libres. En conséquent, je me suis senti plongée dans le contexte culturel de mon mandat et cela m’a permis de rester motivée et impliquée vis-à-vis les thématiques sur lesquelles je travaillais. Ainsi, j’ai compris qu’il était très avantageux au niveau de ma motivation de simuler que je vivais dans le contexte de mon mandat, même si j’étais géographiquement très loin.
Dans un autre ordre d’idées, j’ai appris à ne pas présumer la perception d’autrui sur soi. En fait, je suis une personne avec un fort jugement d’autocritique. Non pas au niveau de mes capacités de travail, mais plutôt au niveau de la reconnaissance relative des mes privilèges dans la société. C’est-à-dire que j’estimais qu’il était très délicat pour moi de prendre position vis-à-vis des enjeux dont j’ai la chance d’avoir pris connaissance par mes recherches, et non par mon vécu. En effet, j’appréhendais je fait de me présenter comme «experte» sur des thèmes comme le féminisme et les discriminations auprès de personnes qui ont une expérience différente de la mienne, au risque d’être perçue comme un individu qui se prononce sur ces sujets depuis une position de privilège. Notamment, dans le contexte où la récente crise politique suscite des sentiments très polarisés chez les gens, j’avais peur d’exprimer une lecture «académique» des évènements qui ne tiennent pas pleinement compte de la perception des personnes qui ont réellement vécu cette situation difficile. Tout de même, au fil des discussions, je me suis rendue compte que mes opinions sur ces thématiques étaient bien reçues auprès des gens et que ces derniers jugeaient très intéressante ma lecture des évènements. Ainsi, je crois que je n’aurais pas dû présumer la manière dont j’allais être perçue par les gens avec qui je travaillais.