Témoignage

#NI UNA MENOS (Pas une de moins)

Pérou
Publié par : Karine Tremblay

29 mai 2017, Tarapoto

Un homme se rend dans un salon de coiffure où travaille son ex conjointe. Il l’asperge de gazoline, met le feu et… se produit l’explosion. La victime, une femme, travailleuse, mère de 4 enfants, décède. Également sur les lieux, la propriétaire du salon de coiffure, brûlée à 90% de son corps, succombe à ses blessures. L’agresseur ne survivra pas non plus aux siennes. Tristement, la victime avait dénoncé son ex conjoint à trois reprises par le passé, et les autorités avaient même émis une ordonnance pour empêcher l’agreseur de l’approcher…

9 octobre 2017, Lima

Un homme revient à la maison en après-midi, soûl et agressif. Selon le témoignage de la victime, il la menace avec un couteau au cou et lui demande le mot de passe de son cellulaire. Elle réussit à se sauver, mais l’homme la rattrape, l’agrippe et la traîne au sol de la voie publique jusqu’à chez elle. Il aura été dénoncé par les voisins.

22 octobre 2017, Lima

Un ordre d’immobilité est imposé par les autorités lors de la journée du recensement national du 22 octobre dernier. Interdiction de sortir de chez soi entre 8h et 17h afin d’attendre la visite à domicile de l’agent ou l’agente de recensement. Pendant ce temps, à Lima, une agente volontaire de recensement fut violée par un homme qu’elle venait de recenser.

Voici trois exemples parmi d’autres, plusieurs autres.

Statistiques

J’ai participé à un atelier présenté à l’Université César Vallejo par Madame Azucena Reátegui García, spécialiste social pour le Centro de Emergencia Mujer (Centre d’urgence pour la femme) à Tarapoto, dont les services publiques spécialisés et gratuits sont offerts aux victimes de violence familiale et sexuelle. Le Centro de Emergencia Mujer relève du Ministerio de la Mujer y Poblaciones Vulnerables (Ministère de la femme et des populations vulnérables). L’atelier portait sur la violence basée sur le genre et le harcèlement au travail. Je vous partage quelques statistiques que Azucena nous a présentées :

  1. Le Pérou détient le 3e rang mondial en termes de violence sexuelle (OMS, étude sur la violence sexuelle).
  2. Le Pérou détient le 2e rang en Amérique Latine en termes de féminicides (CEPAL).

Selon l’article « Ni una menos: Han muerto 94 mujeres este año víctimas de violencia de género », en 2016, 89% des victimes étaient des femmes et dans 85,1% des cas, l’agresseur était le conjoint ou l’ex conjoint. Et finalement, selon l’article « Ni una menos : Ya son 39 casos de feminicidio en Perú », de janvier à avril 2017, 7 femmes sur 35 qui ont été victimes de féminicides avaient dénoncé leur agresseur aux autorités sans recevoir la protection souhaitée2.

Machisme

Le Pérou est considéré en général comme un pays machiste et conservateur. Selon le dictionnaire Larousse, le machisme signifie « idéologie fondée sur l’idée que l’homme domine socialement la femme et que, à ce titre, il a droit à des privilèges de maître3». Comme le mentionne le journal Peru21 dans son article « El 74% considera que el Perú es una sociedad machista », le machisme est un mal endémique au Pérou, une maladie chronique qui attaque les hommes et les femmes4.

Comment le machisme mène-t-il à la violence?

Selon l’article « Perú es el país más machista de América Latina » du journal El Popular, la psychiatre Martha Rondón mentionne que la violence et les féminicides sont commis principalement par jalousie. Selon elle, les hommes ne supportent pas de voir leurs partenaires les abandonner ou reconstruire leur vie même si eux ont refait la leur. Il ne s’agit pas d’une crainte de se retrouver seul, sinon de voir la femme échapper à leur contrôle. Elle rajoute que « l’homme croit ou fait croire qu’il est le chef de famille et, à ce titre, doit « sanctionner » la femme qui n’obéit pas5 ».

Toujours selon la psychiatre Rondón, la femme est convertie en objet décoratif et sexuel, la déshumanisant et la réduisant en une « chose ». De cette façon, l’homme n’a pas l’impression en la tuant, de tuer son égal. « Il pensera à son foyer détruit, à son honneur traîné dans la boue, à sa virilité, mais il ne pensera pas, qu’en la tuant, il détruira la vie d’une autre personne », indique la psychiatre. Elle mentionne également que l’éducation à la maison est la source du problème. « La jalousie est acceptée et même justifiée comme preuve d’amour et d’intérêt », mentionne-t-elle. Elle rajoute aussi que ce type de comportement est encouragé à travers le contrôle exercé par les mères sur leurs filles en comparaison à celui exercé sur leurs fils.

Historiquement, le travail à la maison et l’éducation des enfants revient à la femme alors que la gestion de l’argent et le travail à l’extérieur du foyer revient à l’homme. Également, pendant longtemps l’éducation était réservée aux hommes et encore aujourd’hui, dans certaines régions du pays, un taux élevé de jeunes filles ne termine pas le secondaire, un pourcentage de 70% dans des milieux où les jeunes filles parlent quechua et jusqu’à 90% en Amazonie selon le Diario Correo6.

Le machisme est tant imprégné dans la culture péruvienne et à fois tant normalisé dans certaines sphères de la vie quotidienne que les gens adoptent parfois des attitudes ou des comportements machistes sans en prendre conscience. Voici quelques exemples proposés dans un article Internet sur le site Panamericana et intitulé «Estas son 10 ocasiones en que todos hemos sido machistas y no nos dimos cuenta7 » :

  1. Être offensé si un petit garçon joue avec une poupée ou si une petite fille se met une casquette.
  2. Le Père Noël apporte une petite cuisinière aux petites filles et des ballons aux petits garçons.
  3. Quand tu ne peux t’empêcher de mentionner à ta compagne de classe ou de travail pourquoi elle est aussi jolie.
  4. Faire des « compliments » à une fille dans la rue sans penser que ça puisse la déranger.
  5. Quand ce sont les femmes qui servent et desservent la table alors que les hommes attendent.
  6. Quand tu penses que le bleu est pour les petits garçons et le rose pour les petites filles, mais que toi-même ne peux expliquer pourquoi c’est ainsi.
  7. Quand tu penses que d’avoir une tenue soignée est une obligation pour ton partenaire.
  8. Quand voir des hommes réaliser les tâches ménagères est un événement particulier qui mérite d’être souligné
  9. Quand tu dois consulter ton conjoint pour toutes les décisions sans savoir pourquoi.

Récemment, lors de l’élection de Miss Pérou, au lieu de se prononcer sur leurs mensurations, les candidates ont dévoilé d’alarmantes statistiques sur la violence envers les femmes au Pérou. Cette initiative a fait la manchette au niveau mondial et mis la problématique de la violence chez les femmes en avant-plan au pays.

Le machisme n’affecte pas uniquement les femmes. Il définit les hommes comme des dominants et, par le fait même, exerce une forte pression sociale sur eux pour ne pas, par exemple, exprimer leurs émotions. Dans l’atelier donné par Mme Azucena Reátegui García, il était intéressant d’entendre des hommes parler de la violence envers les hommes et de la difficulté à dénoncer des situations de violence conjugale aux autorités en raison du machisme redouté.

Expérience personnelle

Évidemment, je ne calcule plus le nombre de publicités que j’ai vues de femmes en bikini ou en petites tenues. Parfois la photo n’a absolument rien à voir avec le contenu du magazine. Et je ne vous parle pas de programmes de TV sur heures de grande écoute avec des femmes en petites tenues où je me demande sincèrement si ce sont les épreuves physiques et cognitives qui sont mis en valeur ou leur corps et leurs relations sentimentales.

En ce qui concerne les sifflements ou les « compliments » non désirés dans la rue, à Tarapoto, cela arrive de temps en temps, mais pas régulièrement. Ce sont davantage les conversations avec des inconnus en mototaxi ou lors d’un magasinage qui s’enlignent rapidement sur des questions plus personnelles. Cela mène parfois à des situations inconfortables et à des confrontations aussi.

Également, je pourrais parler d’inégalités sociales que j’ai observées dans certains milieux ruraux où, encore aujourd’hui, l’homme est perçu comme le pourvoyeur en plus d’être celui qui assiste aux réunions professionnelles et vote, bien que la femme travaille souvent dans les champs en plus de ses tâches domestiques et de l’éducation des enfants.

Même des Péruviens et Péruviennes qui ne souhaitent pas être machistes le sont parfois dans leurs propos et leurs comportements, sans qu’ils ne s’en rendent compte consciemment.

Les solutions

Comme nous l’avons mentionné plus tôt, le machisme est culturel. Les changements de mentalité doivent commencer à la maison avec l’éducation des enfants8. L’idéal serait d’avoir des modèles égalitaires, principalement chez les parents, où les rôles sociaux sont partagés.

Déjà en début d’année, le Ministère de l’Éducation du Pérou a proposé un programme scolaire incluant l’approche de genre dès le primaire. Les conservateurs et certains religieux sont montés aux barricades disant, entre autres, que le gouvernement promouvait l’homosexualité. Un collectif nommé « Con mis hijos no te metas » (Ne touche pas à mes enfants) a réalisé une marche en mars dernier pour protester contre l’approche de genre.

Pour vous mettre en contexte historique et politique rapidement, il faut comprendre que la population péruvienne est en majorité de religion catholique. L’Église catholique et l’État péruvien maintiennent des relations étroites depuis la conquête espagnole. En 1979, le Pérou a reconnu, à l’intérieur de sa Constitution, la liberté religieuse comme un droit fondamental de toute personne, quoique l’État maintienne à l’intérieur de sa Constitution la reconnaissance du rôle de l’Église catholique dans la formation historique, culturelle et morale du Pérou9. Ainsi, depuis 1980, un Concordat signé entre le Saint-Siège et le Pérou permet d’octroyer certains privilèges et un traitement préférentiel à l’Église catholique. Par exemple, les organisations associées à l’église catholique ont droit à des exonérations d’impôts et à des subventions. De plus, les écoles nationales primaires et secondaires offrent des cours d’enseignement religieux catholiques. Et lorsqu’il s’agit de droits sexuels et reproductifs, droits qui touchent particulièrement la femme, l’influence de l’Église sur l’État freine l’avancée des droits dans ces domaines respectifs.

Approche au travail

Évidemment, c’est tout un modèle de société qui est en changement, ce qui ne se fait pas sans résistance. Toutefois, à l’intérieur de mon travail comme conseillère en tourisme, je travaille avec des jeunes, femmes et hommes. Je souhaite non seulement miser sur le transfert de connaissances et de compétences professionnelles, mais également sur le renforcement de leur savoir-être, de leur confiance en soi et de leur estime de soi. Mais surtout, il est important de bien connaître ses propres limites et ses valeurs, de les respecter et de se faire respecter, c’est-à-dire, être un coordonnier bien chaussé! Et entre vous et moi, il n’y a rien de mieux que l’humour pour faire passer bien des messages…  

#Niunamenos

« Ni una menos » ou en français « Pas une de moins » est un collectif contre la violence machiste envers les femmes qui est né en 2015 en Argentine10. Le mouvement s’est étendu à d’autres pays dont le Pérou en 2016. Le 25 novembre 2017, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, se tiendra une marche nationale au Pérou… dont une à Tarapoto. J’y serai!

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