Pendant notre passage au Pérou, Isabella et moi avons eu la chance de rencontrer Samir Giha et Eduardo Lanfranco de Cacaosuyo. Nous avons pu discuter longuement avec eux pendant notre visite à leur fabrique et au Salón del Cacao y el Chocolate. Depuis 2012, Samir et Eduardo produisent l’un des meilleurs chocolats au monde. Leurs produits, sous la marque Cacaosuyo, ont remporté de nombreux prix dans les plus prestigieux concours de chocolats (International Chocolate Awards et Academy of Chocolate Awards).
Samir et Eduardo n’étaient pourtant pas du tout dans le domaine du chocolat jusqu’à tout récemment. Samir a tour à tour été chanteur populaire au Pérou, propriétaire d’une maison de disques et exportateur de tissus, avant de plonger dans le monde du chocolat bean-to-bar. Les emballages aux motifs géométriques colorés de Cacaosuyo font d’ailleurs référence aux tissus péruviens traditionnels.
De son côté, Eduardo a une formation d’économiste et a été pendant longtemps investisseur dans différents projets, notamment en hydroélectricité. Il a toutefois été initié au chocolat très jeune puisque sa mère était chocolatière-pâtissière.
Après s’être rencontrés en 2012 au Salón del Cacao à Lima, les deux hommes ont décidé de se lancer en affaires ensemble et de faire du chocolat bean-to-bar. Ils se sont rapidement rendu compte qu’il se cultive au Pérou beaucoup de variétés natives et aromatiques de cacao. À l’époque de leur rencontre, la région de Piura était déjà connue pour son cacao blanc (cacao blanco). C’est là que Samir et Eduardo ont commencé leur recherche du meilleur cacao, dans le but de fabriquer le meilleur chocolat.
Pendant plus d’un an, grâce à l’experte vénézuélienne Gladys Ramos, ils ont appris à fermenter et à sécher les fèves de cacao à peine cueillies. La fermentation et le séchage sont généralement faits par les producteurs eux-mêmes ou les coopératives. Les fondateurs de Cacaosuyo ont toutefois décidé de s’occuper de ces processus post-récolte, en construisant des centres de fermentation et de séchage dans les régions où ils achètent leur cacao. Comme nous l’a expliqué Samir, ces deux étapes sont cruciales pour obtenir un bon cacao. Même lorsque la génétique des fèves est bonne, des processus post-récolte mal exécutés peuvent ruiner un merveilleux cacao.
Dans cet extrait d’entrevue avec Cacaosuyo (en anglais), Samir explique l’avantage pour un chocolatier de pouvoir contrôler les étapes de transformation qui se font à la plantation. Les chocolatiers bean-to-bar ont dû apprendre à faire le meilleur chocolat possible malgré des défauts dans certains lots de fèves. Ils doivent aussi parfois se résigner à jeter des lots chèrement payés si les problèmes sont trop grands. C’est pour cette raison que Cacaosuyo a décidé de prendre en charge les processus post-récolte, plutôt plutôt que d’acheter des fèves de cacao séchées.
Samir et Eduardo achètent donc des fèves de cacao dès qu’elles sortent des cabosses (wet beans), ce qui est plutôt rare. Ils travaillent directement avec les producteurs de cacao et sélectionnent avec eux les arbres aux variétés aromatiques, même si cette façon de faire est plus coûteuse pour eux : ils achètent les fèves de cacao plus cher que la normale (66% de plus), et ils paient aussi des employés et des ingénieurs dans chaque région pour faire les processus post-récolte. Samir et Eduardo se déplacent souvent aussi pour rencontrer les producteurs, afin de maintenir les liens avec eux. Selon Eduardo, c’est important que les fermiers sachent qui est derrière Cacosuyo.
Samir er Eduardo nous ont beaucoup parlé de leur façon de travailler, de leurs liens avec les producteurs et de l’importance de donner un prix équitable (fair price) aux fermiers. Pour eux, cela ne passe pas par des certifications. Ils ont aussi souligné la difficulté de faire du commerce direct lorsqu’on est un chocolatier bean-to-bar basé ailleurs qu’au Pérou. La logistique complique les choses.
Les propos de Samir dans cet extrait d’entrevue montrent qu’il n’y a pas qu’une facette au commerce direct et qu’il est important de trouver des solutions pour que plus de chocolatiers bean-to-bar puissent être en lien direct avec les producteurs de cacao. Je pense notamment à la plateforme Yellowseed qui, tranquillement, met en lien petits producteurs et chocolatiers bean-to-bar. Les choses changent!
Dans mon prochain article de blogue, je parlerai de l’histoire du cacao au Pérou et de comment cette culture est en train de remplacer celle de la coca dans certaines régions.