Les intangibles

Peru
Publié par : Daphné Levasseur
Partir de chez soi, c’est s’exposer à des nouvelles coutumes et habitudes. Il y a des différences qui sautent aux yeux, tandis que d’autres sont toutes en subtilité. Je me revois encore m’asseoir pour la première fois dans un pub à Londres et attendre patiemment que la serveuse vienne prendre ma commande ( j’ai éventuellement réalisé que c’est moi qui devait se lever si je voulais m’arroser le gosier) ou bien d’être restée plantée pendant 20 minutes sur le bord d’une avenue à mon arrivée en Thaïlande, à attendre de pouvoir traverser la rue d’un trait (ça se fait par étape tellement y’a du trafic). Je n’ai jamais traversé cette rue ce jour-là. Encore là, ça reste des différences évidentes qu’on réalise même lors d’un court voyage. Mais plus longtemps on part, plus on arrive à toucher à ces us et coutumes cachées, on les intègre sans même s’en rendre compte. Après 8 mois à vivre dans le nord du Pérou, je sens que j’ai finalement intégré les intangibles de bienséance sociale. Je me sens à l’aise de négocier mon taxi, d’acheter mes avocats au vendeur du coin de la rue et de les choisir moi-même, de jaser, ou non, avec les serveurs dans les restos. Il y a toute cette série de non-dits, qui dictent les relations sociales, aussi brèves soient-elles, et leur assimilation se fait lentement et inconsciemment. En rentrant brièvement à Montréal pour des vacances en juillet dernier, ces différences m’ont sauté aux yeux pour la première fois. Je rentre dans un café banal, je veux commander un café glacé. Ça semble anodin comme situation, mais soudainement je fige. Comment dois-je agir ? Je ne vois pas l’item désiré sur le menu donc je dois demander… mais comment je demande ? Quel niveau de formalité je dois utiliser ? Est-ce que je vais avoir l’air étrange à sourire autant ? Ça m’a sauté au visage que momentanément, j’avais oublié quels sont les intangibles sociaux au Québec quand on est dans un café. Mon cerveau en avait intégré des nouveaux. Au final, je m’en suis bien sortie avec mon café glacé, même si la barista m’a fait un drôle de sourire parce que je chantais avec peut-être un peu trop d’enthousiasme la chanson de Jean Leloup qui passait à la radio. Ces réflexes inconscients, ces repères sociaux cachés, structurent notre vie quotidienne. Mais comment les décrire ? Encore là je n’arrive pas à mettre le doigt sur comment on le commande notre café à Montréal, c’est indescriptible. J’en viens finalement à mon point : travailler comme coopérant, pour bien fonctionner, je crois que ça nécessite du temps. J’aurais pu parler pendant des jours avec des péruviens avant d’arriver mais jamais j’aurais compris ces intangibles. On a beau se faire dire que les relations humaines sont importantes, par exemple, on ne comprend pas à quel point c’est vrai et quelles formes cela peut prendre. En arrivant, on veut bien faire, travailler vite, les projets et les idées pleuvent, mais au final, le vrai travail avance finalement une fois que ces normes sociales sont intégrées. C’est un processus que l’on ne peut pas forcer, tout ce que l’on peut faire est sortir le plus possible et faire des faux pas sociaux, jusqu’au moment où on n’en fait plus. Jusqu’au moment où l’on se sent chez soi à l’étranger.

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