Histoire de réussites

Les coopératives et l’autonomisation économique des femmes en Afrique de l'Ouest

Bénin
Publié par : Nicolas Megelas

Être une femme en Afrique de l’Ouest ce n’est pas si facile, encore moins dans les régions rurales. Responsables d’une grande majorité des tâches ménagères, les femmes ont aussi un accès restreint à l’éducation et au pouvoir économique, répercussions des droits coutumiers inégalitaires qui refusent souvent à la femme le droit à l’héritage ou encore le droit d’être propriétaire de terres. Ainsi, les femmes sont les premières victimes des divers systèmes d’oppressions dont le patriarcat et le néo-colonialisme économique puisqu’en plus d’être exclues de plusieurs secteurs de la société et de la sphère politique, elles forment la majorité des personnes les plus vulnérables. Cependant, l’avenir est porteur d’espoir car de plus en plus d’organisations font de l’autonomisation économique des femmes (AEF), une de leurs stratégies d’intervention prioritaires.

Effectivement, en adoptant l’Agenda 2030, 193 nations se sont engagées à faciliter l’autonomisation des femmes et des filles, plus particulièrement dans le cadre de l’ODD 5 et de l’ODD 8.  Selon le Centre International de Recherche sur les Femmes « une femme est économiquement autonome lorsqu’elle a à la fois la capacité de réussir et de progresser économiquement et le pouvoir pour prendre et agir sur des décisions économiques » (CIRF, 2011). Par ailleurs, de nombreux chercheurs perçoivent les coopératives comme un moyen d’autonomiser les femmes et de favoriser leur développement économique en modifiant leur statut socio-économique (Wanyama et al., 2008 ; Ferguson & Kepe, 2011 : Datta & Gailey, 2012 ; Mujawamariya et al., 2013).

Cependant, les coopératives ne sont pas une solution nouvelle à nos problèmes et des entreprises collectives indigènes à l’Afrique comme l’idir en Éthiopie, les tontines en Afrique de l’Ouest ou les stokvels en Afrique du Sud existent depuis fort longtemps. Les coopératives, elles, se sont propagées à travers le monde depuis que les Pionniers de Rochdale ont formalisé le premier magasin coopératif en 1844 en réaction à l’exploitation de la classe ouvrière par les riches propriétaires de manufactures et commerçants lors de la révolution industrielle au Royaume Uni. Le mouvement coopératif, pourtant rempli d’exemples inspirants de collaborations entre humains, sources de richesses partagées équitablement et d’engagements communautaires significatifs a souvent été ignoré, mis sous silence et même combattu par le système capitaliste (industriels, politiciens, médias etc.).

Aujourd’hui, de grandes organisations multinationales spécialisées dans les cultures d’exportation africaines (karité, cacao, coton etc.) disent autonomiser les femmes à travers des programmes les organisant en groupements informels. Conscient des multiples enjeux, j’ai accepté d’étudier le sujet. Dans une étude comparative menée auprès de 9 coopératives et 15 groupements informels répartis dans 4 pays d’Afrique de l’Ouest, j’ai découvert que les membres de coopératives génèrent environ “2,5 fois plus de revenus que les non-membres interviewés dans les mêmes villages et plus de 3 fois plus que les membres de groupements informels” (MEGELAS, 2022). De plus, les membres des coopératives interviewées ont un revenu en moyenne supérieur au seuil de pauvreté intermédiaire (établi à environ 54450 CFA/mois) alors que les non-membres et les membres de groupements informels interviewés ont un revenus en moyenne inférieur au seuil de pauvreté international (établi à environ 34617 CFA/mois). Il est donc vrai que les coopératives contribuent à sortir leurs membres de l’extrême pauvreté et à autonomiser économiquement les femmes mais la même chose ne peut pas être dite des groupements informels. Le dire révèle de la publicité mensongère et du “green washing”.

Cet article a donc pour objectif de présenter les principales manières que les coopératives impactent davantage l’autonomisation économique des femmes ouest-africaines que les groupements informels afin d’encourager la communauté internationale notamment les gouvernements ouest-africains à investir davantage de moyens techniques et financiers pour le développement d’un véritable mouvement coopératif en Afrique. Les lignes suivantes présentent l’essentiel des résultats de ma recherche en se concentrant sur l’impact du statut formel des coopératives, de leur appartenance à des réseaux internationaux et à leur application des 7 principes coopératifs.

Les coopératives, des organisations aux statuts formels et membres de réseaux internationaux

Tout d’abord, les coopératives sont des entreprises formalisées dans un contexte ouest-africains où plus de 80% de la population évolue encore dans le secteur informel (Banque mondiale). Les coopératives sont régies par des lois offrant à leurs membres un cadre et une protection juridique dont les membres de groupements informels ne bénéficient pas. Les coopératives contribuent donc à la formalisation de l’économie, à la régularisation de la fiscalité et au développement du respect des droits des travailleurs. Ce statut formel fait des coopératives des partenaires privilégiées par les bailleurs de fonds et les coopératives bénéficient d’un support technique et financier supplémentaire de la part du mouvement coopératif international (unions coopératives, faitières, Alliance Coopérative Internationale etc.). Leur statut formel et leur adhésion aux réseaux internationaux facilitent donc l’accès des coopératives au capital et au crédit ce qui améliore l’accès de leurs membres aux ressources productives comme aux machines agricoles par exemple. Avoir accès à des machines a eu un impact important sur l’autonomisation des femmes dans les coopératives que j’ai interviewées puisque cela a multiplié par 3 leur capacité de production tout en diminuant fortement la pénibilité de leur travail (production de tapioca et de beurre de karité).

La libre adhésion et le droit de vote égal

L’application du premier principe coopératif de libre adhésion interdisant toute forme de discrimination aux nouveaux adhérants permet de réduire les divisions ethniques, religieuses et tribales au sein des communautés et garantit une chance égale pour toutes les femmes de devenir membres de l’organisation et de participer à sa gestion démocratique. Dans des contextes souvent déchirés par des conflits tribaux, politiques ou religieux, ce principe joue un grand rôle dans la guérison des communautés et la réparation du tissu social. La capacité de participer à un projet (ainsi que la majorité des impacts présentés dans ce document) figurent parmis les indicateurs de l’autonomisation économique des femmes proposé par le CIRF. Finalement, même si chaque membre coopératif doit souscrire au minimum à une part sociale, leur droit de vote ne dépend pas du nombre de parts sociales détenues comme c’est le cas dans les sociétés à actions. Ainsi les coopératives placent l’humain au-dessus du capital puisque chaque membre a un droit de vote égal peu importe le capital qu’il (ou elle) détient.

Les réunions régulières entre les membres

100% des coopératives interviewées se réunissent au moins une fois par mois ou à chaque 2 semaines pour gérer collectivement leur activités. Le fait de tenir des réunions hebdomadaires ou mensuelles figure parmi les caractéristiques nécessaires pour qu’une organisation soit considérée comme un “collectif d’autonomisation de femmes” tel que défini par la Fondation Gates. 40% des groupements informels que j’ai interviewés ne satisfont pas cette condition.

En plus d’offrir une expérience pratique de la démocratie et d’exercer les membres à la prise de parole en public, les réunions entre membres créent des espaces plus sécuritaires (safer-space) au sein desquels les femmes peuvent échanger des idées et tisser des liens de solidarité. Cela contribue entre autres à améliorer la capacité des membres à s’exprimer en public, améliorer les relations entre les femmes de la communauté et à diminuer les violences conjugales puisque les maris ne veulent pas que toute la communauté découvre qu’ils battent leurs femme ce qui serait humiliant.

L’évolution des normes communautaires relatif aux femmes et le leadership féminin

Comme vu plus haut, à travers l’augmentation considérable de revenu et l’accès facilité au crédit, les coopératives améliorent l’accès des femmes membres aux ressources productives ( terre, capital, machines etc.).  En plus d’améliorer directement leurs niveaux de vie, cela contribue à faire évoluer les normes communautaires concernant les femmes notamment les normes concernant les femmes et le travail. Les maris de femmes membres de coopératives ont plus de respect pour leur travail et certains sont même prêts à participer aux tâches ménagères afin de permettre aux femmes de libérer du temps pour leurs activités coopératives (cela reste rare).

Découlant du statut formel des coopératives, les postes de responsables coopératifs sont considérés comme des positions de “leadership féminin” par les communautés et les responsables de coopératives sont davantage consultées par les autorités villageoises que les responsables de groupes informels. La législation coopérative requiert des procédures démocratiques transparentes pour la nomination des responsables et pour la tenue des Assemblées Générales (AG) et des réunions du conseil d’administration (CA). Ceci contribue à enrayer la corruption, les abus de pouvoirs et les détournement de fonds au sein des organisations.

La formation des membres en gestion coopérative et les sensibilisations diverses

Le principe coopératif d’éducation et de formation requiert des coopératives de former leurs membres et leur communautés aux principes de la coopération.   Ainsi 89% des coopératives interviewées ont reçues des formations en gestion coopérative, offertes soit par les faîtières (au Burkina) soit par le Service d’Immatriculation de l’Etat (au Bénin). Dans des contextes ruraux où beaucoup de femmes n’ont pas eu l’accès à une éducation de qualité, l’impact de ce principe est non négligeable sur l’estime de soi des membres et leur donne les bases nécessaires à la gestion d’entreprise. Ceci explique que les coopératives ont de meilleures pratiques commerciales que les groupements informels en divisant plus régulièrement le surplus (bénéfices) entre les membres, en l’utilisant pour se créer des réserves ou en le réinvestissant dans l’entreprise collective.  Les coopératives ont systématiquement des statuts et des règlements internes écrits conformes à la législation coopérative et tiennent des records écrits de leurs activités contrairement à la majorité des groupements informels.

33% des coopératives interviewées ont également reçues des sensibilisations diverses sur le planning familial, le mariage précoce, le viol des enfants et les enfants domestiques offertes par des associations spécialisées. Au Burkina Faso, une coopérative a été sensibilisée sur l’utilisation des déchets du karité. Puisqu’aucun groupements informel n’a reçu de telles sensibilisation cela suggère que les coopératives sont plus propices à en recevoir.

La coopération entre coopératives et l’action envers la communauté

Le principe de coopération entre coopératives encourage une conception plus solidaire de l’économie, montrant la voie à suivre pour encourager davantage de coopération entre organisations aux niveaux local, régional, national, panafricain et international.

Dernièrement, à travers leur principe d’engagement envers la communauté, les coopératives rappellent aux populations le potentiel qu’elles détiennent pour transformer leurs réalités et les encouragent à agir collectivement pour le développement local et communautaire. Au Burkina Faso, où les cultures associatives et coopératives ont des bases historiques,  les coopératives  interviewées ont pris action en offrant des « prêts aux membres et des dons aux écoles/hôpitaux » ou en faisant don de « 10 000 FCFA pour aider à la construction d’une école ». D’autres « ont acheté un nouveau toit pour l’école et organisent des formations pour les membres » ou fait dons de « matelas dans les écoles et des réchauds à fusée à l’hôpital ». Les coopératives au Bénin n’avaient fait aucune action communautaire ce qui nous rappelle que des efforts sont à faire pour sensibiliser davantage les membres de coopératives ouest-africaines sur l’importance des principes coopératifs.

Conclusion

Malgré le fait que les femmes sont sacrées en Afrique, c’est elles qui souffrent le plus de la crise économique actuelle. La voie à suivre est donc claire : encourageons le développement d’un mouvement coopératif endogène africain pour augmenter l’autonomisation économique des femmes afin de réduire les inégalités de genre, combattre l’extrême pauvreté et accélérer le développement local des communautés ouest-africaines. Si vous voulez en savoir plus sur les résultats de ma recherche sur le sujet, mon mémoire est disponible en ligne gratuitement.

En solidarité.

 

Nicolas MEGELAS

Conseiller en gestion de projets innovants PCV-CECI (Cotonou, Bénin)

Master 2 en Economie Coopérative et en Gestion d’Organisation (UADC)

Linkedin: https://www.linkedin.com/in/nicolas-megelas-34006b67/

Email: megelasnicolas@gmail.com

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