La promotion de l’égalité femme-homme (EFH) est un axe dit « transversal » aux mandats de coopération internationale du programme Uniterra. Bien qu’essentielle, cette approche qui promeut finalement l’intégration d’une nouvelle composante, soit l’EFH, aux projets mis en œuvre, contribue parfois à relayer cette thématique en trame de fond par rapport aux objectifs principaux de chaque coopérant(e). C’est pourquoi, suite à mes observations et à l’expérience acquise, j’aimerais dédier ce cours billet précisément à cette démarche. Parce que je pense qu’il faut comprendre à quel point la dimension EFH est omniprésente dans notre travail d’une part, et qu’il y a moyen de lui accorder plus de place dans nos efforts sur le terrain comme dans nos retours d’expérience d’autre part.
Alors commençons du début. Lorsque je suis arrivée à Tarapoto en septembre 2014, je débarquais en tant que jeune/ femme/ étrangère/ conseillère auprès de l’Entreprise municipale responsable de la distribution et du traitement des eaux pour la région de San Martín (Emapa San Martín S.A.). Quelques jours après mon arrivée, j’ai été sifflée par plus de 200 travailleurs lorsque présentée au personnel pour la première fois ; j’ai été conviée avec toutes mes consoeurs au « comité de cuisine » lors de l’organisation d’une première activité de reforestation ; et pour clore la semaine en beauté, je me suis retrouvée au milieu d’une piste de danse entre trois autres compétitrices dans le cadre de la soirée d’anniversaire de l’Entreprise – l’objectif étant de déterminer laquelle des quatre danserait le mieux pour l’homme assis sur la chaise devant nous.
Dans un tel contexte, aurais-je pu simplement éviter les soirées festives et développer mes projets tout en soulignant l’importance de la participation des femmes comme des hommes? Mais leur auraient-on laissé leur place ou auraient-elles même voulu y participer? Et en m’excluant moi-même ainsi par malaise, n’aurais-je pas cautionné l’inverse de ce que je voulais promouvoir?
Pas question. J’ai plutôt décidé de me pencher sur la situation de l’EFH au sein de l’Entreprise précisément. J’ai mené une enquête à travers des entretiens informels et semi dirigés pour recueillir les perceptions et les histoires. Parmi mes découvertes, sur 32 femmes rencontrées en entrevue, 16 avaient été victimes d’harcèlement sexuel dans le cadre de leur travail… C’est ainsi qu’un long processus de sensibilisation s’est mis en branle…
Un peu plus d’un an d’ateliers participatifs, de coordinations et de discussions plus tard, les avancées ont d’abord revêtu un caractère institutionnel. Parmi celles-ci, on peut compter la mise en place d’un comité interne de promotion de l’égalité femme-homme, paritaire et sensibilisé, qui veille d’une part à ce qu’il n’y ait plus de discrimination dans le déroulement des activités de l’Entreprise, et qui d’autre part organise lui-même des ateliers de sensibilisation sur ces questions. De plus, on vient d’annoncer la toute récente approbation d’une résolution et d’un protocole de prévention et de protection face au harcèlement sexuel, impliquant notamment un processus de dénonciation entièrement confidentiel. C’est déjà pas mal pour la nouvelle ambiance!
Mais les changements s’observent aussi ailleurs. Ils sont dans le comportement des quelques hommes que je vois aux cuisines pendant les activités de reforestation. Ils sont dans les réflexions de ma collègue qui s’interroge sur l’interdiction de son garçon à laisser sa sœur jouer avec l’avion bleu parce que le bleu et les avions sont deux choses « de garçons » comme il l’a si bien appris à l’école. Ils sont également dans la simplicité des bonjours matinaux qui ont désormais remplacé les sifflements entendus pendant de nombreuses semaines. Ils sont finalement dans tous ces petits changements plus subtils et progressifs qui n’apparaissent pas dans les résultats officiels. L’EFH est en effet de plus en plus perçue comme quelque chose d’intéressant, de souhaitable; les hommes et les femmes autour de moi s’interrogent, se remettent en question; tranquillement se remarquent de nouvelles dynamiques dans les commentaires, dans les blagues, dans les réactions, dans les sujets qui apparaissent désormais moins tabous, et notamment dans la prise de conscience que l’option de choisir leur appartient individuellement.
Comment en sommes-nous arrivés là? Avec patience, avec tact, avec humour, avec beaucoup d’énergie, avec cohérence et avec empathie. PATIENCE face à la lenteur de la bureaucratie, aux retards, et au temps que requiert une appropriation de ce genre de problématique. TACT et HUMOUR face aux réactions et aux commentaires parfois dégradants, voire indignants, mais finalement « innocents » - empreints simplement d’un passé, d’habitudes, d’un contexte socioculturel bien précis. Poser des questions plutôt que donner des réponses, et toujours avec le sourire, voire même avec le rire. Avec beaucoup d’ÉNERGIE parce que c’est un travail de longue haleine, mais aussi très prenant sur le plan personnel – dans un contexte où il n’est pas toujours facile de prendre une distance. Avec COHÉRENCE quant à nos agissements, à nos paroles, à notre mode de vie, au « modèle », à l’image que l’on renvoie en tant qu’unique étrangère. Et finalement avec EMPATHIE, ce mot magique qui rejoint l’écoute, la compréhension et l’importance de se décentrer pour être pleinement présent avec l’autre selon SES nécessités et SES sentiments.
Alors voilà, transversal ou pas l’EFH demeure un axe essentiel de notre travail. Il faut savoir s’y concentrer selon les contextes. Dans toute sa complexité, dans ses biais culturels, dans la lenteur de ses changements, et dans la difficulté d’en démontrer les résultats « concrets » et « quantifiables » tant prisés, je demeure convaincue de sa pertinence.