Eske ou t manje jodi a ? une question de contexte et non de culture!

Haïti
Publié par : Mélanie Poitras
La première fois qu’on te pose cette question tu réponds : « bien-sûre que j’ai mangé ». Ça faisait seulement quelques jours que j’étais arrivée dans le pays et toutes les personnes que je rencontrerais me demandais «  Ou byen domi ? » Est-ce tu as bien dormi ? et « Eske ou t manje jodi a ? » Est-ce que tu as mangé aujourd’hui. En tant que Québécoise, relativement bien nantie, on ne m’avait jamais posé cette question. En fait, Je pense qu’il est important de se demander pour quelle raison personne ne pose jamais cette question ? Probablement car des gens qui ne mange pas à leur faim au Québec, il y en a moins qu’en Haïti. Notons qu’il y en a.  Je ne me suis pas tout de suite poser la question. Pour faire comme les autres et m’adapter aux gens, j’ai donc commencé à poser la même question aux gens à leur rencontre. Eske ou byen domi ? Eske ou t maje jodi a ? les gens me répondent oui. Ok, tout va bien ! jusqu’à ce que ceux-ci se sentent suffisamment à l’aise en ma présence.  Ah non ! Malheur on me répond : « ça fait deux jours que je n’ai pas mangé !!!! » À ce moment, mon cerveau fonctionne vite vite….. que dois-je dire ? que dois-je faire ? Dois-je lui donner à manger ? Finalement, je partage ma collation avec la personne. C’est à ce moment que je me suis posée réellement la question pourquoi on ne veut pas vraiment savoir ? car c’est moi qui suis prise avec ce malaise et quel est ce malaise. Ce malaise vient en majeure partie parce que je me demande ce que l’autre pense de moi si je ne lui donne rien. Je sais ce qu’il se dit… que je suis pleine aux as et que je suis probablement radine de ne rien donner. Et bien entendu que si je lui dis que je n’ai rien, il ne me croit pas. Mais je ne peux pas aider tout le monde. C’est donc bien moi qui suis pris avec ce malaise. Mais il suffit souvent juste d’écouter. Les gens, comme partout ailleurs, on besoin qu’on les écoute, qu’on les comprenne.  Je voudrais tellement faire plus. Tant de gens souffrent d’insécurité alimentaire. En Haïti, la grande majorité des gens vivent avec moins d’un dollar américain par jour, par famille. Environ 5,7 millions de personnes sont sous-alimentés (http://www.fao.org/hunger/fr/). Les gens me regardent et savent bien que je mange à ma faim. De plus, le pays ne produit que 40% de la nourriture nécessaire pour subvenir aux besoins de base des haïtiens. Le pays est encrés dans une agriculture de subsistance tout comme le Québec il y a de ça 60 ans. Comme je disais, cette question, c’est une question de contexte et non de culture. Je ne crois pas que les haïtiens du Québec posent cette question au gens qu’ils rencontrent, à leurs cousins, leurs tantes ou leurs amis.  Mais ici, les gens ne mangent pas et on le sait, ce n’est pas un secret. Et on sait aussi que lorsqu’on ne mange pas, qu’on se couche le ventre vide, eh bien ! on ne dort pas bien. Quand on n’a pas mangé, qu’on a passé la soirée dans le noir car la ville n’a pas donné d’électricité et qu’il fait 35 degré Celsius comment peut-on être en mesure de bien travailler le lendemain? C’est très difficile d’être fonctionnel au travail ou à l’école dans ces conditions. De plus, la majorité des gens travaillent physiquement, c’est-à-dire que l’on doit fournir un effort physique soutenu pour la tâche.  Il est donc important d’arriver à faire la distinction entre culture et contexte et d’être en mesure de bien le comprendre ce contexte. Ce contexte nous fait comprendre plusieurs des comportements que les gens peuvent avoir. Donc comprendre le contexte dans lequel la personne vit et a vécu pour éviter de porter des jugements erronés qui pourraient porter préjudice à l’individu. Nous avons souvent tendance à transformer les problèmes en problèmes ethniques (Licata & Heine, 2012). La culture est acquise dans un processus à partir d’observation des comportements des autres personnes qui composent la société dans laquelle cette personne évolue. C’est donc dire que la culture n’est pas statique et s’adapte à son environnement.  D’ailleurs, notre culture fait partie du développement de notre identité qui elle est primordiale pour l’équilibre d’un individu. Poser les vraies questions aux gens qui vous entourent et gérer vous-même le malaise que cela vous fait vivre. Est-ce que cette question est pour répondre à un besoin de base ou un besoin de sécurité ou d’appartenance ? Est-ce que cette question est pour savoir s’il y a d’autre personne dans ma réalité ? Y-a-t-il des gens qui sont là pour m’écouter ? Y-a-t-il des gens pour me donner à manger ? Pour mes amis qui travaillent en intervention, poser les questions et essayer de comprendre. Comprendre le contexte est essentiel pour mettre en place les bonnes interventions. Cessons de fermer nos yeux aux vraies problématiques, je vous le dis vous en sortirez grandis.

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