Témoignage
Au moment où j’écris ces lignes, il est 15h. La pluie qui ne cessait de tomber depuis ce matin a laissé place à une atmosphère inopinément fraîche qui fait front à la saison sèche, censée débuter très bientôt. Je suis dans un ancien garage dont les murs sont en béton, assise à un pupitre en bois. Une ampoule blanche aveuglante au mur est, sans la présence du soleil, mon seul éclairage. J’entend les oiseaux qui gazouillent, infatigables comme le ventilateur qui tourne au-dessus de ma tête. J’ai la tête plongée dans mon écran d’ordinateur.
Cet ancien garage, c’est ce que j’appelle « mon bureau » depuis maintenant trois semaines. Et il en sera ainsi pour les 11 suivantes.
Je termine ma sixième semaine au Bénin. Ça fait déjà plus d’un mois que je suis arrivée! Beaucoup de choses ont changé depuis ma précédente chronique : je suis maintenant installée dans la commune de Bohicon, je travaille pour l’Association Nationale des Femmes Agricultrices du Bénin (ANaF-BÉNIN), et surtout, je me porte beaucoup mieux. Je me considère toujours en période d’acclimatation, mais la peur qui me rongeait au début s’affaiblit de plus en plus. De plus, je me suis liée d’amitié avec les autres volontaires de la commune, dont deux sont des canadiennes qui sont aussi mes colocataires. Ça me fait un bien immense de parler, de rire et de partager nos parcours et expériences autour d’un bon poulet et d’alloco (je ne jure maintenant que par ces bananes plantains frites, sucrées et apaisantes).
Bohicon est une commune dans le département de Zou, à une centaine de kilomètres de Cotonou. Avec ses 171 000 habitants, c’est un grand village… ou une petite ville? Elle avoisine Abomey, ville historique où reposent les vestiges des palais royaux de l’ancien Royaume du Dahomey. À l’instar de la tonitruante capitale, Bohicon est en général plutôt tranquille. Les moteurs des zem, les moto-taxis, laissent place aux gazouillements des oiseaux, dont un nid se situe tout juste de l’autre côté de la fenêtre de ma chambre. Bohicon n’a pas le même rayonnement culturel de Cotonou, mais j’apprend à connaître ses recoins, les commerçantes que je salue timidement, ses rues de sable ocre qui colorent mes chaussures…
Ma chambre est simplement munie d’un lit, d’une armoire, d’une lampe aussi blanche que celle du bureau et elle est climatisée. Moi qui suit habituée de ma chambre au Québec dont tous les recoins sont tous occupés par mes tiroirs, ma bibliothèque, mon clavier et mon bureau, un peu d’espace me fait honnêtement du bien.
La singularité de notre logis, pour ne pas dire son défaut, est sa cuisine. Pour y accéder, nous devons longer un couloir et passer par une cour intérieure… et n’étant pas ventilée, nous cuisinons donc dans une chaleur souvent étouffante. Nous recevons quotidiennement la visite de petits amis à mandibules qui pourlèchent le beurre d’arachide sur nos couteaux laissés dans l’évier, ou qui pénètrent… dans nos boîtes de céréales! Malgré ses inconvénients, je me dis qu’apprendre à composer avec cette cuisine fait partie de l’aventure. Car, je ne me le rappelle pas assez souvent, mais c’est avant tout pour apprendre que je suis venue ici!
Se nourrir convenablement est un autre défi dont je fais l’expérience. Contrairement à Cotonou, Bohicon n’a pas de supermarché. Pour acheter de la nourriture, nous pouvons soit nous rendre au très achalandé marché, où s’entassent les commerçants, faire le tour des marchands dans les rues, ou dénicher quelques petites supérettes… Pour moi qui cuisine peu, le challenge est considérable! Heureusement, j’ai quelques denrées et prêts-à-manger achetés au supermarché de Cotonou qui agrémentent mes rations, mais ce n’est pas suffisant. Je me lance un défi pour les prochaines semaines : développer mes talents de cuisinière!
Le bureau de l’ANaF-BÉNIN est à cinq minutes de marche de l’appartement. Pour moi qui est habituée aux trajets d’environ d’une heure en autobus ou en train pour me rendre au travail, je découvre une toute nouvelle façon de vivre ma routine du matin. Le soleil déjà levé à mon réveil, le déjeuner sur le bord du lit, les deux secondes que cela me prend pour choisir mes vêtements, l’odeur de la crème solaire…
Cette petite marche que je dois faire tous les jours devient rapidement une bulle de joie pour moi. Toujours parée de ma casquette, de mon sac à dos et d’une grande bouteille d’eau, j’avance dans le sol inégal et sableux aux nuances d’orange brûlée. La couleur est si intense que s’en est irréel. Je salue celles et ceux que je croise, j’observe le ciel, puis les palmiers, les palissades et les toits de fortune, les fils électriques dont les poteaux sont de minces troncs d’arbres, les poules qui courent à vive allure. À chaque fois, je me dis que je suis bien loin des routes pavées, des pelouses coupées et des montagnes de la Montérégie. Et ça me rend heureuse!
L’ANaF-BÉNIN est une organisation locale qui lutte pour les droits des femmes œuvrant dans le milieu rural. Plus de la moitié de la population béninoise travaille dans le secteur agricole — dont 47,9% sont des femmes. Considérant que l’agriculture est l’une des industries les plus importantes au pays, le rôle de ces femmes l’est tout autant! Pourtant, plusieurs de leurs droits ne sont pas respectés, comme l’accès à la propriété foncière, à un salaire décent, ou à des semences. C’est un pan des droits des femmes que je connais peu. Tous les jours, j’ouvre grand mes yeux et mes oreilles, assoiffées d’en connaître plus à ce sujet pour mieux exécuter mon travail.
L’ANaF-BÉNIN est chef de file dans son domaine. Si son siège social est à Bohicon, ses activités s’étendent dans les douze départements qui composent le Bénin. Bien qu’officiellement fondée en 2007, son histoire remonte aux débuts du 21e siècle, me dit le coordonnateur. Celui-ci a joué un rôle crucial dans sa concrétisation. Quand je lui demande pourquoi il a décidé de s’impliquer dans la lutte, il m’explique que c’est en constatant les écarts injustes qui affectent les agricultrices et la souffrance qui en résulte qu’il a voulu agir concrètement. L’organisation est très active : l’équipe se déplace fréquemment dans le pays pour donner des formations.
Les premiers jours, dans mon bureau-garage, je réfléchis. Comment puis-je apporter ma contribution à cette organisation qui en fait déjà beaucoup? Comment créer des communications qui reflète son long parcours? C’est au fil de ces réflexions que mon mandat s’éclaircit.
Il se divise à présent en deux volets : la solidification de l’image de marque de l’Association, et la diversification de ses moyens de communications. Je travaille notamment sur un guide de normes graphiques, une formation sur l’écriture épicène, un gabarit de plan de communications événementiel… Le but est de donner l’opportunité à l’organisation et les femmes qu’elles représente de gagner en visibilité, mais aussi de laisser transparaître les nombreux efforts de celle-ci et sa position en tant que leader dans son champ d’action au moyen d’une image de marque bien définie, reconnaissable, professionnelle mais dynamique.
À ma grande joie, on m’implique aussi dans des projets extérieurs à mon mandat. J’ai par exemple fait plusieurs visuels promotionnels, des affiches, de la rédaction de publications, ainsi qu’un dépliant informatif. À mi-chemin entre l’écriture et les visuels, je suis comblée! Pourtant, ma soif n’est pas encore comblée; j’ai envie d’aller encore plus loin, dans le plus concret… et je nourris l’idée de rencontrer les agricultrices elles-mêmes, de les écouter, de découvrir ce qu’elles cultivent.
C’est avec beaucoup de bonheur que je peux dire que cette idée est devenue réalité la semaine dernière… le sujet de ma troisième chronique!
À bientôt!