Témoignage
Je reviens chez moi pour la première fois depuis deux semaines avec mon gigantesque sac à dos en forme d’haricot et mes bottes de randonnées sales comme jamais. Malgré la fatigue du trajet en avion, j’ai un grand sourire aux lèvres. Je viens de revenir d’un voyage au Parc National de Banff en Alberta, ma première aventure solo. J’ai des images de sommets infinis, de parois rocailleuses, de lacs féériques plein la tête. J’ai hâte de les raconter à ma famille.
Mais pas le temps d’y repenser! Dans trois semaines seulement, je retourne à l’aéroport, direction le Bénin, en Afrique de l’Ouest, pour un mandat de coopération internationale de quatre mois organisé par le CECI. Je n’ai pas encore commencé à remplir la paperasse administrative, et je ne sais toujours pas où je vais vivre, ni ce qui sera attendu de moi. Tout ce que je sais, c’est que mon coeur palpite rien que de penser à cette nouvelle aventure.
La coopération internationale, c’est un rêve que je nourris depuis le premier confinement. L’idée de voyager seule ne m’avait jamais traversé l’esprit auparavant, mais c’est lorsque j’ai relu le livre de ma tante Isabelle Marjorie Tremblay, intitulé Voyages d’une vie, que quelque chose s’est déclenché en moi. Particulièrement, le chapitre où elle raconte son stage en coopération internationale au Mali, en 1995. Pour ma tante, ce sera un voyage profondément transformateur, qui bouleversera ses convictions. Pendant 6 mois, elle a organisé des activités avec des jeunes délinquants, voyagé dans le pays avec une troupe de théâtre ambulant, pris des cours de djembé… pour moi qui suis cloîtrée dans ma chambre, à tenter de poursuivre mon baccalauréat en littérature en ligne sans m’endormir, l’offre devient soudainement très alléchante. Je réalise qu’il y a tout un monde à découvrir. Et que le confinement est la seule chose qui m’empêche de le faire. Mais qu’est-ce que je suis en train de faire de ma vie?, je me suis dit. C’est de là qu’émerge l’urgence, une urgence de vivre que je porte toujours avec moi aujourd’hui. Et, ce rêve de coopération internationale…
Le Bénin est parmi les 100 plus petits pays du monde avec une superficie de 112,6 kilomètres carré. Situé en Afrique de l’Ouest, au niveau de la courbe concave du continent, il avoisine le Togo, le Burkina Faso, le Niger et le Nigéria. Sa forme phallique me fait rire! Ses deux capitales, Porto-Novo et Cotonou, sont situées tout au Sud, aux abords du Golfe de Bénin qui se jette dans l’Atlantique.
Le français est la langue officielle, reflétant son passé de colonie française, mais les langues locales affluent sur l’entièreté du territoire. Avec un climat tropical au Nord et un équatorial au Sud, la chaleur est bien évidemment omniprésente à l’année longue. Portant le surnom de berceau du vaudou, le Bénin pique de plus en plus ma curiosité. Pendant les trois semaines qui précèdent mon départ, j’ai la tête dans des livres sur la culture béninoise et la communication interculturelle.
Mon mandat aura lieu dans la commune de Bohicon, à environ 2h30 de Cotonou. Mon titre officiel sera celui de « Conseillère en communications. » Intérieurement, je ne me considère pas comme conseillère, et j’espère pouvoir plutôt faire partie de l’équipe au même titre que les autres employés!
Après des adieux larmoyants avec ma famille, je m’envole enfin pour Cotonou, avec une escale à Paris, pour un total d’environ 12 heures d’avion. Quand j’arrive au Bénin, il est environ 21h. La fatigue afflige mon corps mais j’ai les yeux bien ouverts : je ne veux rien manquer. À la sortie, un homme m’accueille et nous montons en voiture direction mon hôtel, où je résiderai pour quelques nuits avant de partir pour Bohicon. Je tourne mon visage vers la fenêtre, emplie du curiosité, pour regarder la capitale se déplier dans la noirceur. Je perçois des toits en tôle montés sur des tuyaux, des commerces des commerces engoncés dans des minuscules espaces, des femmes portant des bols ou des plateaux sur la tête… Je suis à la fois fascinée et terrifiée devant ce paysage. J’ai l’impression que mon âme se détache de mon corps et que je ne l’habite plus. C’est l’inconnu!
Le lendemain matin, c’est un bruit de moteur qui me réveille. De plusieurs moteurs. De motos, ou plus précisément de taxi-motos. Je titube vers la fenêtre de ma chambre : il n’y a que des motos sur la route. Ce sont des béninois, vêtus d’un chandail jaune, qui portent derrière eux, des hommes, des femmes, des enfants en uniforme scolaire, des familles entières assises sur leur véhicule. Et ils conduisent vite. Ici, on les appelle les zémidjans, ou zem pour faire court. C’est le seul moyen de transport en commun possible à Cotonou, et à Bohicon aussi. Il y en a tellement, que ce n’est qu’une question de secondes pour s’en trouver un. On négocie un prix en fonction de la destination, et c’est parti. Malgré la voie à double sens, certains roulent dans le sens inverse, et à l’intersection plus loin, c’est chacun pour soi : dans cette capitale bourdonnante, il y a peu de signalisation, presque pas de feux de circulation. Cette intersection que je vois n’en possède tout simplement aucun. Les zems sont les rois de la route! Je deviens fébrile.
L’homme de la veille vient me chercher pour faire des courses. Tout le long du trajet, je ne peux m’empêcher de tourner la tête vers la fenêtre pour regarder les commerces, bariolés de couleurs vives. Certains semblent en voie de s’écrouler, d’autres transpirent de rouille. C’est une autre forme de beauté que je découvre.
Je rencontre le personnel du CECI et quelques autres volontaires pour une réunion. Je suis gênée, mais je cache mon excitation d’enfin rencontrer d’autres gens qui eux aussi ont fait le grand saut pour venir jusqu’ici pour se dépayser, et contribuer à l’avancement des droits humains!
Les journées suivantes, je profite du temps que j’ai pour explorer la ville. Ces excursions sous le soleil impitoyable sont riches en sensations : à chaque fois que je veux traverser, je dois me faufiler un chemin entre les zems et les quelques voitures. Il faut parfois attendre plusieurs longues minutes avant que la voie ne soit libre, puis courir pour aller à l’autre bout. Le trottoir est inégal, à quelques endroits effondré. Quelques commerçants sont couchés dans leur magasin, accablés par la chaleur. De mon côté, j’admire ce côté tape-à-l’oeil de la ville, les aménagements de fortune, les couleurs partout. Ça fait changement de Montréal, que je trouve parfois un peu gris!
J’aimerais aller plus loin pour visiter les musées et les marchés d’art, mais je n’ai pas de casque. En effet, pour monter sur un zem, le CECI m’oblige à m’en procurer un, pour des raisons de sécurité. Je me promène donc dans le même petit périmètre en regardant chaque chose avec attention, et je m’assieds dans des coins pour écrire dans mon carnet. Je m’arrête pour observer les couleurs. J’apprend à ignorer les klaxons incessants, que les gens utilisent surtout pour faire connaître leur présence. Les zems en sont friands; ici, ce sont eux qui vous hèlent pour vous offrir une place!
Chose certaine, je ne passe pas inaperçue : des gens m’interpellent, d’autres viennent me parler ou me fixent, et un homme en moto me supplie même de partir avec lui! Je ne sais trop comment réagir à ces avances. Embarrassée, je souris simplement, j’échange brièvement avec certains. Est-ce que ces gens m’approchent par réelle curiosité, ou me veulent-ils quelque chose? J’agis en fonction des réflexes qu’on m’a appris : toujours se méfier des inconnus! Mais je me sens presque mal d’être autant sur mes gardes et de ne pas me faire d’amis. Bientôt, la solitude me guette. Je pense à la distance qui me sépare de chez moi. Le soir, derrière les murs de ma chambre, je retiens difficilement mes émotions.
Après 3 jours à Cotonou, on vient finalement me chercher pour m’amener à Bohicon. Je suis avec deux autres volontaires du Sud, qui travaillent pour une autre ONG. À trois, la voiture est remplie à rabord! Je suis quelque peu déçue de ne pas avoir pu explorer Cotonou davantage (je m’étais finalement acheté un casque!), mais j’ai hâte de voir de nouveaux paysages, encore une fois. Bientôt, les rues truffées de commerces laissent place à la végétation. Des palmiers semblent surgir du sol pour se hisser vers le ciel. Les trottoirs deviennent sable. Le sable, peu à peu, se teinte d’une nuance qui oscille entre l’ocre et l’orange brûlé.
Dans un soudain instant de lucidité, je regarde mes valises à côté de moi. Je peine à croire que je suis ici, au Bénin, sur ce continent grandiose qu’est l’Afrique, à des kilomètres et des kilomètres de mon chez-moi! Je vis mon rêve et je suis presque fière d’avoir pris l’initiative de faire le pas. Mais je sais qu’il me reste encore beaucoup de choses à découvrir et que mon rêve revêtira peut-être d’autres couleurs que celles que j’imaginais. C’est bien ça, une aventure!
Prochain arrêt, Bohicon!