Témoignage
Santa Cruz de la Sierra, Bolivie
5 décembre 2022
Cher.ère.s ami.e.s du Nord,
Je vous écris depuis la « Casa de la Mujer », un organisme à but non lucratif qui vient en aide aux femmes survivantes de la violence en Bolivie. De ma fenêtre, les bruit des klaxons se mêlent à ceux des vendeurs itinérants qui annoncent haut et fort leurs « tamales », « chicha » (boisson) et certains fruits dont je n’ai jamais entendu parler… Il fait ici, comme chaque jour, un soleil de plomb, et la vie se fraie un chemin à tâtons dans ce tintamarre tropical de la plus grande ville du pays.
Depuis mon arrivée à Santa Cruz de la Sierra, dans le cadre d’un mandat de coopération internationale, je me familiarise avec la réalité d’être une femme dans cette contrée située à plus de 12 heures d’avion de mon nid de ouate québécois. Rapidement, je mets des visages sur des réalités dont j’avais vaguement entendu parler, de l’autre bout du même fuseau horaire.
Comme la difficulté d’accès à un avortement sécuritaire, qui n’est autorisé que dans des cas très spécifiques, (lorsque la santé de la mère est en jeu, en cas de viol ou de grossesse d’une fille d’âge mineur). Et même quand elles satisfont ces critères, les femmes ont beaucoup de difficulté à trouver un médecin qui acceptera d’effectuer la procédure. Ce qui amène plusieurs femmes à recourir à l’avortement clandestin, à l’aide de médicaments par exemple, mettant leur santé et leur vie en danger. Saviez-vous qu’en Bolivie, les avortements illégaux causent la mort de près de 4000 femmes par an (selon les données de l’Ipas-Bolivia)?
À l’entrée de notre Centre, plusieurs femmes avec un enfant accroché au bras et un autre en orbite autour des jambes. Elles attendent patiemment leur consultation gratuite avec les avocates et psychologues de l’organisme féministe. Il faut dire que dans cette société profondément sexiste et patriarcale, 7 femmes sur 10 ont vécu de la violence au courant de leur vie et on dénombre une centaine de féminicides par année.
De ces femmes qui cognent à notre porte, il y en a quelques-unes chaque jour qui sont survivantes de violences sexuelles. Des viols, surtout. Des jeunes filles, souvent. Il y en a beaucoup. Trop. À l’échelle nationale, ce sont 9800 dénonciations de violences de ce type qui ont été enregistrées en 2022 (jusqu’à la fin de novembre), dont 2486 cas de viol d’enfants et d’adolescentes (selon les données du procureur général de l’État).
Les travailleuses communautaires de la Casa de la Mujer sont des militantes qui n’hésitent pas à monter au front, à protester dans les rues et à faire pression sur les instances gouvernementales pour améliorer les conditions de vie des femmes boliviennes. Car des changements structurels à faire, il y en a. À commencer par le système de justice. Jusqu’à maintenant, seulement environ 31% des auteurs de féminicides sont condamnés. Cela signifie plusieurs agresseurs et meurtriers en liberté. Cela veut aussi dire des juges corrompus et des policiers qui ne prennent pas les victimes de violence au sérieux. Ça prend donc des réformes du système pénal et la formation des professionnels avec une approche axée sur le genre, respectueuse de la condition des survivantes et dans le respect de la loi. Il est aussi nécessaire d’implanter des cours d’éducation sexuelle dans les écoles et beaucoup de sensibilisation des jeunes et moins jeunes pour s’attaquer à la racine des comportements sexistes et patriarcaux.
Ces femmes m’auront beaucoup appris. Nous aurons échangé, rigolé et même traversé ensemble une grève civique majeure (36 jours de routes bloquées et de droits humains brimés).
J’aurai essayé le plus possible d’y mettre du mien, principalement en animant des ateliers de prévention avec les femmes et les jeunes et en organisant la campagne internationale des 16 jours d’action contre les violences genrées. Une goutte d’eau dans l’océan vous me direz. Des « petites choses avec un grand amour » dirait plutôt mère Teresa.
Et quand je retournerai à mon emploi régulier au Centre des femmes de Lennoxville, ce sera le réveil printanier de la nature et de notre jardin communautaire. Je reverrai les femmes et familles de notre petite communauté, qui vivent aussi des hauts et des bas, et j’espère ne pas oublier trop rapidement la réalité de mes amies boliviennes qui luttent chaque jour pour faire respecter leurs droits.
Je crois que la situation des femmes dans l’hémisphère sud nous rappelle la fragilité de tous les droits dont nous profitons actuellement au Québec et au Canada. Et si ce que nous avions acquis en termes de droits des femmes pouvait nous être enlevé ? Car quand je regarde ce qui se passe chez nos voisins américains au niveau de l’accès à l’avortement, je crains un recul des droits des femmes, même en occident. La lutte n’est donc jamais terminée. Il faut continuer de dénoncer les menaces aux droits humains chez nous et à l’étranger.
La prochaine fois qu’il y aura une manifestation dans les rues de notre ville pour revendiquer un monde plus juste pour les femmes, personnes LGBTIQ+, personnes issues de l’immigration ou pour la protection de l’environnement, sortons de nos salons, malgré le froid ou la pluie, et montrons notre appui. Impliquons-nous dans un mouvement de défense des droits (ex. : un comité régional de la Marche mondiale des Femmes, une fédération des communautés interculturelles, un centre des femmes, un organisme de défense des droits des personnes de la diversité de genre et d’orientation sexuelle, etc.). Apprenons aussi comment aider une personne survivante de la violence genrée, d’abord en l’écoutant et aussi en la croyant (pour en savoir plus : www.sosviolenceconjugale.ca).
Et finalement, pour aider des organismes comme la Casa de la Mujer en Bolivie, vous pouvez démontrer votre appui par un don au CECI (Centre d’éducation et de coopération internationale), qui sera utilisé directement pour appuyer des initiatives d’égalité entre les femmes et les hommes et de lutte contre les violences.
Prenez soin de vous, et des autres.
Solidairement,
Lucie Levasseur, Volontaire pour le CECI-Bolivie