Témoignage

Intégration de la perspective de genre et l’aide humanitaire durant la pandémie de la COVID-19

Sénégal
Publié par : David Beaulieu

Introduction

La pandémie de COVID-19 a exposé les nombreux systèmes défaillants, où les personnes les plus vulnérables de par leur âge, leur pauvreté, leur origine culturelle et/ou leur genre le deviennent davantage.[1] Effectivement, la situation mondiale actuelle plonge un grand nombre de personnes dans la précarité, dont une pluralité de femmes et de filles. Les inégalités entre les sexes et la discrimination sont omniprésentes et le simple fait d’être une femme ou une fille expose à des risques et des obstacles supplémentaires,[2] comme l’escalade de la violence basée sur le genre en période de confinement.[3] Mener une action humanitaire qui intègre la perspective de genre et qui analyse les sources de discriminations afin de favoriser l’égalité entre les sexes est essentiel, en tant que moyen pour protéger les personnes les plus vulnérables, pour lutter de façon efficace contre la pandémie, mais représente aussi une occasion de considérer cette égalité comme une finalité en soit.

L’aide humanitaire, les femmes et les filles

L’aide humanitaire est offerte dans des situations d’urgence par des organisations qui agissent pour sauver des vies, protéger les droits, assurer la sécurité et préserver la dignité humaine. Lors de ces situations complexes, les questions en lien avec l’égalité entre les sexes peuvent sembler à priori moins pertinentes. Pourtant, la compréhension de la dynamique entre les sexes est un élément incontournable de l’efficacité de l’aide.[4] Il est possible de constater par exemple dans les camps de réfugiés que l’égalité des sexes favorise l’adoption rapide de pratiques comme la collecte systématique de données ventilées par sexe pour la mise en place de services et la distribution de matériel humanitaire. Les femmes et les filles en difficulté ont ainsi de meilleures chances d’accéder à la nourriture, aux soins de santé et à une protection contre la violence.[5] De surcroit, la situation des femmes et filles habitant dans des milieux vulnérables comme les camps de réfugiés ou de déplacés sont marginalisées et sont plus à risque d’être exclues des campagnes d’information et de la provision des services de manière adéquate.[6]

Les femmes sont les premières victimes des crises humanitaires et continuent d'être marginalisées dans les processus de réhabilitation post-crise. Les victimes féminines des crises humanitaires font face à des problématiques bien spécifiques à leur genre et la prise en charge de ces populations par des femmes permet de subvenir plus spécialement à leurs besoins. Lorsque les vulnérabilités préexistantes ne sont pas suffisamment prises en compte, les interventions humanitaires ne répondent pas de façon systématique et adéquate aux besoins spécifiques des femmes et des filles.[7] Une analyse sexospécifique permet donc une réponse plus appropriée des acteurs de l'aide.[8] De plus, l'approche sexospécifique de l'aide humanitaire présente un double intérêt, car il permet de remédier aux disparités de genre au sein des structures humanitaires et en plus de perfectionner la réponse aux besoins de chaque membre des populations bénéficiaires.[9]

Lutter de façon efficace contre la pandémie

La pandémie mondiale de COVID-19 a mis en évidence et exacerbé diverses inégalités qui ont suscité des interventions de grande ampleur de la part des gouvernements et des organisations.[10] Elle constitue une grave menace pour les droits à la vie et à la santé des peuples du monde entier. Ainsi, une réponse fondée sur les droits de la personne et basée sur la complémentarité des interventions qui sont constituées d’une intégration du genre est essentielle.[11] En effet, l’accès aux services de santé comme la santé sexuelle et reproductive est entravé dans des pays faisant face à de graves insuffisances dans ce domaine. De surcroit, les besoins liés à la réponse à la pandémie du COVID-19 peuvent détourner les ressources allouées à ces services de santé qui touchent plus spécifiquement les femmes.[12] Ces dernières font face aussi à une augmentation de la violence sexuelle et basée sur le genre dans ce contexte de crise en raison des tensions accrues au sein du foyer.[13] L’ensemble des populations vulnérables ont subi et continu de subir différemment la pandémie de COVID-19, dont 48 millions de femmes et de filles et 4 millions de femmes enceintes en 2020.[14]

La participation des femmes et des filles dans tous les processus de prise de décision pour faire face à la pandémie de COVID-19 doit donc être effective[15] et ce, en plus d’appuyer les spécialistes du genre à tous les niveaux d’élaboration des politiques et programmes et de la mise en œuvre des plans d’action.[16] Cela a pour but de prévenir les violences basées sur le genre, de les prendre en charge et de considérer les services et soins en matière de droits et de santé sexuels et reproductifs comme essentiels.[17] Il est important que les initiatives soient stratégiques et non seulement et strictement cosmétiques à court terme, tels que par des déclarations publiques ou par la mise en place de politiques féminisme sans plan de mise en œuvre.[18] Effectivement, ces stratégies doivent être ciblées sur l’autonomisation des femmes afin d’atténuer l’impact de la pandémie et prendre des mesures d’accompagnement, notamment en les aidant à se rétablir et à renforcer leur résistance aux chocs futurs.[19] Ainsi, les femmes doivent être considérées comme une ressource importante dans la prestation de l’aide, l’établissement de la paix et la reconstruction des sociétés, non seulement comme un groupe vulnérable.[20]

Politique féministe du Canada et l’égalité comme finalité

Une application plus soutenue d’une perspective de genre, de par une nécessité d’efficacité dans les circonstances actuelles, ne doit cependant pas dissimuler que les mesures traditionnelles sont concentrées principalement et presque entièrement sur le processus plutôt que sur les résultats ; c'est-à-dire l'existence d'une politique de genre comme seulement un moyen pour être plus efficace et non sur l’égalité de genre comme résultat.[21] En ce qui concerne la politique féministe du Canada, celle-ci favorise justement une approche qui tient compte du genre pour l’aide humanitaire afin de renforcer la réponse humanitaire,[22] au lieu de viser cette diminution des écarts dans les relations de pouvoirs inégalitaires comme une finalité. Ces mesures actuelles d'intégration de la dimension de genre ne saisissent pas suffisamment les changements nécessaires pour offrir une programmation transformatrice et remédier aux disparités.[23]Il est nécessaire de garantir que l'intégration de la dimension de genre ne soit pas un exercice de case à cocher dans un contexte de pandémie mondiale, mais plutôt une opportunité et une réelle manière d’atteindre une forme d’égalité entre les genres de par des analyses intersectionnelles et des initiatives inclusives sur le long terme visant l’autonomisation des femmes.

Conclusion

Pour conclure, les moments de crise tels que le COVID-19 peuvent donc présenter de nouvelles possibilités et ressources à la mise en place d’une égalité de genre globale. Il est toutefois nécessaire de garder à l'esprit la nature éphémère des réponses aux crises humanitaires et que la mise en place d’une perspective de genre ne doit pas reposer strictement sur une plus-value au niveau de l’efficacité, mais comme une finalité à long terme.[24] Ainsi, l'intégration du genre peut soutenir les efforts et renforcer l’efficacité des interventions de lutte contre la pandémie, mais elle doit aussi servir à mieux reconstruire après la crise du COVID-19 avec l'équité intersectionnelle entre les sexes.[25] Enfin, il serait aussi pertinent de considérer l’application plus systématique de l’approche Nexus entre humanitaire et développement, de par une cohérence organisationnelle, une collaboration et une synergie afin d’aider les gouvernements à mieux réagir à la pandémie mondiale. Cela pourrait permettre de tirer de meilleurs résultats des interventions dans une perspective à long terme.[26]


[1] ONU – Femmes, Le monde pour les femmes et les filles. Rapport annuel 2019-2020. p.3.

[2] Ibid., p.2.

[3] Ibid., p.3.

[4] ACDI, Égalité entre les sexes et assistance humanitaire. 2003. p.1.

[5] ONU – Femmes, op. cit., p.5

[6] Groupe régional thématique genre pour l’Afrique de l’ouest et du centre, La prise en compte du genre dans le cadre de la réponse à la pandémie du COVID-19 en Afrique de l’ouest et du centre, 2020. p.3.

[7] Gouvernement du Canada, Une approche féministe : l’égalité des genres dans l’action humanitaire. 2020.

[8] Pauline COLLETTE, Ninon DENORMANDIE et AUDREY TINTINGER-HAGMANN, La femme est-elle l’avenir de l’humanitaire ?, Humanitaire, 2010.

[9] Loc cit.

[10] Apolitical, Comment l'intégration du genre peut aider à «reconstruire en mieux» à partir du COVID-19, 2020.

[11] Groupe régional thématique genre pour l’Afrique de l’ouest et du centre, op. cit,. p.2.

[12] Ibid, p.3.

[13] Ibid, p.4.

[14] UNFPA, COVID-19 : Une optique sexospécifique, Protéger la santé et les droits en matière de sexualité et de reproduuction et promouvoir l’égalité des sexes. p. 6.

[15] Groupe régional thématique genre pour l’Afrique de l’ouest et du centre, op. cit,. p.4.

[16] Equipop, Mettre la justice sociales, en particulier l’égalité femmes-hommes au cœur de la réponse à la pandémie de COVID-19 en Afrique de l’ouest. Appel à l’action. 2020.

[17] Loc cit.

[18] Apolitical, op. cit.

[19] Groupe régional thématique genre pour l’Afrique de l’ouest et du centre, op. cit,. p.4.

[20] ACDI, op. cit., p.1.

[21] Apolitical, , op. cit.

[22] Gouvernement du Canada, op. cit.

[23] Apolitical, , op. cit.

[24] Loc cit.

[25] Loc cit.

[26] UNFPA, op. cit,. p. 6.

Restez informé·e·s

Inscrivez-vous à l’infolettre et soyez les premier·ère·s informé·e·s !