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Texte d'opinion signé par Robert Letendre, Yves Pétillon, Nigel Martin, Yves Pétillon, Mario Renaud, Nicole St-Martin et Pierre Véronneau, membres du GREDIC*
La version originale de cet article a été publiée dans Le Devoir le 8 juin 2020.
Plusieurs penseurs de renom, ici ou à l’étranger, s’interrogent sur les transformations qui résulteront forcément de la crise sanitaire, écologique et économique qui ébranle notre monde. Ces réflexions nous placent en face des choix que nous devrons faire en rapport avec les leçons apprises.Nos constats :
Premièrement, l’évidence del’interdépendance du monde actuel. Les pratiques sanitaires déficientes d’un marché de Wuhan peuvent mettre l’humanité à genoux et bouleverser nos vies. Yuval Noah Harari, l’auteur de Sapiens, dans un article publié dans Le Monde, rappelle qu’une seule mutation du virus de l’Ébola l’a rendu quatre fois plus contagieux, déclenchant une épidémie meurtrière en Afrique de l’Ouest de 2014 à 2016.Une seule personne porteuse d’un virus meurtrier menace toute l’humanité. Les pratiques économiques et écologiques nondurables d’une seule région du monde peuvent avoir des impacts négatifs sur l’équilibre climatologique et économique de toute la planète et augmenter les inégalités sociales et économiques entre les populations des pays et des régions.Dans ces conditions, il n’est pas possible de nier l’importance de la mondialisation.
Deuxièmement, si nos gouvernements avaient le loisir de mettre nos activités économiques, sociales et culturelles sur «pause», cela n’est pas le cas dans plusieurs pays en développement(PVD) ou encore dans ceux où il existe des économies «à deux vitesses», l’une très développée et la seconde d’une extrême pauvreté. Entre mourir de la Covid-19 ou mourir de faim, le choix est simple. Dans ces conditions, le confinement n’est pas viable.
Troisièmement, poser l’alternative mondialisation vs repli nationaliste est une absurdité. Ce type de raisonnement dénote un manque flagrant de discernement. Plusieurs personnes sont incapables de voir qu’il existe un nationalisme d’affirmation qui permet à des sociétés en crise de se recentrer pour faire face à l’adversité et de faire en sorte que la survie devienne la première priorité. Le nationalisme démocratiqueest justement la force qui peut venir tempérer le type de mondialisation désastreuse
prônée par les idéologues néo-libéraux.
Quatrièmement, on peut remettre en question les crédos d’institutions comme le Fonds monétaire international(FMI) ou la Banque mondiale (BM) quiont forcé bien des pays en développement à abolir les mesures protégeantleur production nationale. Ceci a eu comme conséquence d’accroître la dépendance économique des PVD vis-à-vis des pays riches qui en ont profité pour faire du dumping avec leurs excédents agricoles mettant à mal les cultures vivrières locales. Dans l’urgence, les lois du marché ne permettent pas nécessairement de se procurer l’indispensable.De plus, les règles d’équilibre budgétaire prônées par le FMI et la BM ont été désastreuses pour les systèmes de santé et d’éducation des PVD.
Cinquièmement, certains profitentde la crise actuelle pour dénigrer l’action des Nations Unies et de ses agences. Toute l’histoire onusienne atteste que l’ONU n’est que la somme des intérêts nationaux, eux-mêmes de plus en plus divergents. Les grandes puissances, certainement celles qui siègent au Conseil de sécurité, ont tout fait pour empêcher l’ONU d’avoir un pouvoir propre et de jouer un rôle effectif de coordonnateur mondial. Ce sont les nationalismes de repli qui ont affaibli l’ONU et non pas ses idéaux universalistes.Que fera le Canada pour tenter de changer cette donne s’il obtient un siège au Conseil de sécurité?
Sixièmement, la crise actuelle nous rappelle ce que tous les économistes savent désormais avec certitude à savoir qu’une bonne gouvernance est une condition essentielle du développement et son contraire, une recette absolue pour des désastres. Cela est vrai de façon générale - considérons la situation actuelle dans plusieurs États sur la planète - ou encore, de façon sectorielle, en constatant ce qui est arrivé dans les centres d’hébergement et de soinsde longue durée (CHSLD) au Québec et en Ontario.Plusieurs pays en développement ont besoin d’appui pour renforcer leurs institutions et la bonne gouvernance. Récemment, le Canada a fait une erreur tragique en abandonnant ce type de programmes.
La crise actuelle nous démontre hors de tout doute qu’il n’y a qu’une voie possible, à savoir celle de la coopération internationale.La société civile progressiste le sait bien : il n’y a que l’opinion publique pour faire changer les choses.Depuis plusieurs années d’ailleurs, elle est engagée pour plus de démocratie dans la gouvernance mondiale, que ce soit pour l’élimination des mines anti-personnel et la réduction des armements, ou par la montée des mouvements féministes, coopératifs et écologiques. Il faut mondialiser la volonté de coopérer non seulement des États mais aussi des citoyens, à défaut de quoi l’humanité court à sa perte. Si ce n’est pas par la Covid,
cesera par le changement climatique ou encore une autre calamité créée ou non par l’humain.
L’économiste Thomas Piketty propose la création d’une dotation sanitaireet éducative minimale pour tous les habitants de la planète, financée par les recettes fiscales provenant des acteurs économiques les plus prospères dont les GAFAM et les grandes fortunes. Cette vision de la solidarité internationale serait une sorte de péréquation mondiale qui pourrait remplacer éventuellement la traditionnelle "aide au développement".
Si pénible qu’elle soit, la crise actuelle doit devenir une occasion de créer un monde vraiment coopératif s’appuyant sur la volonté d’agir ensemble et de s’entraider.
* Le Groupe de réflexion sur le développement international et la coopération (GREDIC), est formé d'anciens responsables d'ONG de coopération et d'anciens cadres de l'ACDI. Il est affilié à l'Observatoire canadien sur les crises et l'action humanitaire (OCCAH) de l'UQAM.